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II.

Si l’on se guide sur ce qui s’est produit ailleurs et à d’autres époques, on conçoit que, sans considérer la conquête comme bornée définitivement aux premières acquisitions, on ait préféré s’en tenir à une expérience restreinte avant de décider s’il serait nécessaire de s’étendre plus loin. Après la guerre de 1825 contre les Birmans, la compagnie anglaise des Indes, restée maîtresse seulement d’une partie du Pégu, occupa quelque temps dans le bassin de l’Irrawaddy une position comparable à celle que le traité de 1862 donne à la France dans le bassin du Mékong. Plus tard, malgré la défaveur avec laquelle cette première tentative pour s’avancer au-delà du Gange fut généralement accueillie, malgré les dépenses excessives qu’elle avait entraînées, la compagnie n’hésita pas à acquérir au prix d’une nouvelle lutte la possession de toutes les bouches de l’Irrawaddy, dès qu’il lui fut démontré que c’était le seul moyen de faire produire à sa première conquête des résultats suffisans.

Sans même chercher d’autres exemples, l’histoire de la Basse-Cochinchine, enlevée par l’Annam au Cambodge, outre l’intérêt qu’elle peut offrir aux nouveaux possesseurs du pays, fournit d’utiles indications sur la marche suivie par les conquérans que la France a remplacés, et sert d’argument à ceux qui voudraient porter la frontière française jusqu’au golfe de Siam. Au milieu du XVIIIe siècle, toute la portion méridionale du bassin du Mékong, de la cataracte à la mer, c’est-à-dire le Cambodge actuel, la Basse-Cochinchine et les deux provinces siamoises de l’ouest, formait, sous le nom de royaume du Cambodge ou des Kmer, un état unique qui, bien avant l’ère chrétienne, était déjà riche et florissant. La population, mélange des anciennes races autochthones avec les bandes d’émigrans hindous et malais, résista victorieusement aux invasions venues du nord, qui faisaient du Tonkin et de la Haute-Cochinchine des annexes de l’empire chinois. Le bouddhisme, introduit de Ceylan ou de la Birmanie, donna un nouvel essor à la civilisation. Une littérature nombreuse et variée, les restes récemment retrouvés de vastes édifices et d’immenses cités permettent d’apprécier le degré de grandeur qu’atteignit alors le peuple cambodgien[1]. Quelles furent les causes de son déclin rapide? Des

  1. Nous regrettons que le cadre que nous nous sommes tracé ne nous permette pas de donner au lecteur quelques détails sur les vastes ruines découvertes en divers endroits, à Angcor notamment. Plusieurs publications en ont déjà parlé, mais ces descriptions font en général honneur à l’imagination plus qu’à la véracité de leurs auteurs. Les ruines cambodgiennes sont pourtant assez remarquables pour qu’il soit inutile d’y rien ajouter. Nous apprenons qu’un recueil de photographies tirées sur les lieux par un Français et un Anglais doit être prochainement publié à Saigon. La science accueillera cette publication avec un vif intérêt.