Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/435

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le nom de Namvang (Splendeur du Sud)[1]. Les officiers de notre marine donnent à cet endroit le nom des Quatre-Bras.

Le cours total du Mékong, compris entre le 9e et le 36e degré de latitude nord, présente entre sa source et son embouchure une distance en ligne droite d’environ six cents lieues; mais ce n’est pas l’étendue seule du parcours qui mérite de fixer l’attention. Tous les ans, vers le mois de juillet, le fleuve, grossi par la fonte des neiges dans le montagnes du Thibet, enfle ses eaux, sort de son lit et se répand sur la campagne. La crue cesse vers le mois d’octobre. Cette inondation périodique et bienfaisante ressemble à celle de l’Egypte. Toutefois le Mékong a sur le Nil une incontestable supériorité; le moyen de régulariser les crues, que les anciens pharaons avaient cherché à obtenir en creusant le lac Mœris, la nature elle-même le fournit dans l’Indo-Chine. A mesure que les eaux croissent, le trop-plein, remontant à Namvang le bras du nord-ouest, va se déverser dans le grand lac, qui offre alors l’aspect d’une immense nappe d’eau de plus de quatre cents lieues carrées, d’où surgissent les cimes vertes de quelques grands arbres. Dès que le fleuve n’est plus assez élevé pour verser daris la branche nord-ouest un courant remontant vers le lac, celui-ci, faisant office de réservoir, se dégorge en sens contraire, et rend aux deux bras descendant vers la mer les eaux qu’il leur a momentanément empruntées. Ce mouvement de va-et-vient fournit en toute saison un volume d’eau suffisant à la navigation, et maintient un courant assez fort pour lutter contre l’influence des vents de nord-est, presque constans en Cochinchine, et qui tendent à ensabler les embouchures.

La crue du Mékong, comme celle du Nil, donne aux territoires qu’elle a recouverts, et qui forment la plus grande partie du Cambodge actuel, une fertilité exceptionnelle. Une exploitation intelligente en tirerait des richesses considérables. S’il faut en croire certaines affirmations, entre autres les récits d’un naturaliste français, M. Mouhot, qui, de 1858 à 1861, a remonté le Mékong, et dont la mort a trop tôt interrompu les travaux, outre l’abondance des produits agricoles, parmi lesquels il faut placer en première ligne le coton, la soie et une sorte de chanvre particulier au pays, les territoires voisins des Quatre-Bras renfermeraient des richesses métallurgiques. L’état misérable dans lequel vit aujourd’hui la population s’explique aisément par les vices d’une administration détestable, par l’incurie et le despotisme du gouvernement, par la fréquence des guerres et des révolutions. Cependant on sait qu’autrefois un

  1. Namvang est à quinze lieues de la frontière de la Basse-Cochinchine. Nous renvoyons le lecteur, pour des détails plus techniques, aux notices sur les colonies françaises publiées par ordre du ministre de la marine. Paris 1866.