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cale et pénétra dans les Abruzzes. Il les occupa sans rencontrer de résistance. Épuisé par les Espagnols et fatigué de leur pesante domination, le royaume tout entier, où le parti angevin était encore fort puissant, était prêt à recevoir les Français comme des libérateurs. Après s’être rendu maître des Abruzzes, Lautrec descendit en Pouille. Il y perçut les 100,000 ducats que rendait chaque année la grande douane des bestiaux, de passage alors dans cette province, et il se servit fort cà propos de cet argent pour le paiement arriéré de son armée. Il prit ensuite les trois villes de San-Severo, de Lucera et de Foggia, qui se donnèrent à la France avec le même empressement que les villes des Abruzzes.

Lautrec s’étendait ainsi dans la partie orientale du royaume, lorsque l’armée impériale, quittant Rome avec précipitation, alla au-devant de lui comme pour s’opposer à sa marche et lui disputer la possession du pays dont elle n’avait pas pu lui fermer l’entrée. Ce n’était pas sans peine qu’elle avait été tirée de Rome, d’où elle ne voulait pas sortir avant de recevoir l’argent qui lui était dû. Les lansquenets, qui en formaient la partie la plus considérable, avaient même été sur le point de passer du service de l’empereur au service du roi de France. Ils en avaient menacé leur nouveau général, s’ils n’étaient pas payés. Le prince d’Orange, annonçant à l’empereur le grand danger où il était de perdre ses Allemands, ce qui aurait ruiné entièrement ses affaires en Italie, lui écrivait le 19 janvier : « Ce sera bientôt fait ou failli[1]. » Il était allé en toute hâte, accompagné de dix de leurs élus, chercher quelque argent au royaume de Naples, après avoir décidé les lansquenets à se contenter pour le moment de deux paies montant à 70,000 écus, avec la promesse de deux autres paies dans les deux mois suivans[2]. Il avait à grand’ peine arraché ces 70,000 écus au vice-roi don Ugo de Moncada, qui, comprenant l’intérêt qu’avait l’empereur de conserver les soldats dont dépendait le maintien de sa puissance en Italie, s’était procuré cet argent par tous les moyens; puis, courant à Rome, il était parvenu à mettre l’armée en mouvement. Réduite au moins de moitié par les excès et les maladies, cette armée comptait de dix à onze mille hommes peu disciplinés, mais fort aguerris. Elle s’était dirigée vers la Pouille en traversant le bas des états romains, et, n’ayant pas pu prévenir l’invasion du nord-est du royaume de Naples, elle s’était postée à Troja pour empêcher l’invasion du sud-ouest. Afin d’aller plus vite, le prince d’Orange avait laissé son

  1. Lettre du prince d’Orange à l’empereur, du 19 janvier 1529. — Archives impériales et royales de Vienne.
  2. Lettre du prince d’Orange à l’empereur, du 4 février 1528. — Ibid.