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Fresne était la fille du président du Tillet[1] et d’une femme discréditée par les désordres de sa conduite. Mmes d’Olonne, de Lyonne, de La Baume, de Gondran, la Marans de Mme de Sévigné, la Montglas de Bussy-Rabutin, mais surtout cette Bretonvilliers à qui l’ironie populaire avait décerné un surnom si outrageant pour M. de Paris, avaient, parait-il, une digne émule en Mme du Tillet. Sans être à beaucoup près aussi décriée que sa mère, la marquise de Fresne s’était exposée, par ses coups de tête, à plus d’un méchant propos, et son mari, qu’elle quittait à grand bruit trois ou quatre fois l’an sous les plus futiles prétextes, avait fini par l’abandonner presque entièrement à ses folles imaginations. En 1667, c’est-à-dire plusieurs années avant l’époque où le président se déclara ouvertement l’ennemi de M. de Fresne, ce magistrat et sa femme avaient exhorté d’un commun accord le marquis, admis alors dans leur commerce intime, à ne plus souffrir les équipées de son étrange moitié. M. de Fresne répugnait naturellement à des mesures de rigueur; mais, cédant à leurs conseils et usant de leur crédit, il prit le parti de la contraindre à se retirer dans un couvent. Le difficile était d’en trouver un qui consentît à l’admettre, vu la réputation qu’elle s’était faite plutôt par des extravagances marquées que par une conduite foncièrement répréhensible. Le nom de sa mère lui fermait aussi la porte des maisons les moins rigides. Les religieuses de Meulan s’en accommodèrent malgré tout moyennant une pension de quatre mille livres, dont l’énormité apaisa leurs scrupules. Il faut dire que peu de scrupules leur étaient permis, et qu’elles avaient fait tomber en fort médiocre estime la grande croix rouge de leur ordre. Il ne convient pas de s’appesantir sur tout ce qu’on a pu dire de ce couvent, et moins encore sur ce que Mme de Fresne put y commettre de graves inconséquences, ceci n’appartenant que très indirectement à notre récit. Le fait est qu’elle s’y trouvait encore trois années plus tard, lorsque le président et son complice d’Egvilly projetèrent de se servir d’elle pour recommencer leurs persécutions contre son mari. Elle n’eut pas de peine à se laisser persuader quand ces mécréans lui promirent de la soutenir, si elle formait en justice une demande en séparation de corps et de biens, qu’ils sauraient, disaient-ils, lui rendre particulièrement avantageuse. Mme du Tillet, digne d’entrer dans un complot pareil, se chargea d’aller en personne reprendre sa fille aux nonnes de Meulan, et la conduisit immédiatement à l’hospice de Charonne, couvent qui jouissait alors d’une renommée toute

  1. On peut noter dans les généalogies plus d’une alliance commune aux du Tillet et aux d’Aguesseau.