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rosse qui la ramenait de chez sa mère fit bientôt halte devant la porte, et après une si longue séparation nos deux amans, en dépit de l’amertume à laquelle ils se sentaient promis, ne purent s’empêcher d’éprouver un vif mouvement de joie. Celle de M. de Fresne fut si expansive que Mme de Novion, déconcertée en ses projets, faillit manquer à la mission qu’elle s’était donnée. Elle domina pourtant cette passagère faiblesse, et, non sans laisser entrevoir la violence qu’elle se faisait, elle remontra doucement à M. de Fresne les inconvéniens qu’avaient eus, pour elle comme pour lui, ses poursuites obstinées. — Néanmoins, ajouta-t-elle, je m’abstiendrai de tout reproche. Ne sais-je pas, n’ai-je pas appris à mes dépens qu’on n’est pas toujours maître de ses actions? Celle que je risque aujourd’hui n’en est-elle pas la preuve? Voyez-y le juste retour que je crois devoir à votre affection. Il m’a paru que, pour vous résoudre à ne plus me voir, il fallait moi-même vous expliquer les raisons qui me font regarder comme indispensable la rupture des liens qui nous unissaient. Ma conduite envers vous, tout innocente qu’elle soit en réalité, devient criminelle dès qu’elle donne prise aux soupçons, et vous ne sauriez me refuser ce que je vous demande aujourd’hui sans me faire un tort irréparable. Je n’ai nul regret de tout ce que j’ai souffert pour vous; mais, si mon honneur vous est cher, vous devez le mettre à l’abri de toute atteinte, dût-il vous en coûter quelque chagrin.

— Hélas! madame, repartit le marquis, jusque-là silencieux et troublé, je reconnais que je n’ai aucun droit sur vous. Il n’est pas juste que je porte dommage à votre repos, moins juste encore que je fasse brèche à votre réputation; mais l’est-il en revanche que vous m’ordonniez de vous quitter sans me donner aucune espérance de vous revoir jamais? un espoir quelconque, si éloigné qu’il puisse être...

— Dans l’état où sont les choses, interrompit Mme de Novion, dont la voix tremblait quelque peu, je ne puis m’engager à rien de positif; mais je vous proteste que si elles viennent à changer, si je me trouve libre de vous revoir, je m’y prêterai avec une vive joie, puisque, je vous le dis sans aucune honte, vous ne m’êtes pas indifférent...

Ses beaux yeux, tandis qu’elle prononçait ces derniers mots, faillirent laisser échapper quelques larmes, et, ne voulant pas que le marquis s’aperçût de son émotion, elle se leva pour s’en aller. M. de Fresne, agenouillé devant elle, avait saisi pour la retenir le bas de sa robe; mais, d’autant plus inexorable qu’elle se sentait moins sûre d’elle-même, Mme de Novion se dégagea et sortit sans qu’il lui fût possible de l’arrêter. Volontiers l’eût-il suivie, et jusque chez elle, sans la crainte qu’il avait de lui déplaire, et cette crainte