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quand l’arrivée d’une suivante qu’il eût bien voulu pouvoir congédier l’obligea de changer d’attitude et de discours. Seulement alors il lui raconta le péril qu’il avait couru, et, sans que Mme de Novion osât lui dire toutes les pensées que ce récit lui suggérait, il put lire sur sa physionomie la vive part qu’elle prenait à la douleur dont il était pénétré.

Forcé de la quitter, car le jour baissait, il courut chercher le président chez un ami commun où il le rencontra effectivement, non sans l’étonner beaucoup, comme il est aisé de le croire. Après un instant de recueillement et de silence, le digne magistrat n’eut rien de plus pressé que de demander si le chevalier et son valet de chambre Lacour étaient bien irrévocablement passés de vie à trépas, et l’assurance qui lui fut donnée à cet égard le soulagea sans doute considérablement, — l’occasion d’ailleurs s’offrant très favorable pour éloigner le rival dont il avait voulu se défaire, sans compter que, le marquis une fois hors de France, il serait peut-être facile de donner à l’affaire criminelle qu’il avait maintenant sur les bras la tournure la plus convenable aux circonstances.

M. de Fresne cependant, rassuré par sa conscience et craignant le mauvais relief d’une disparition même passagère, hésitait fort à s’éloigner. Il fallut, outre les instances du président, la menace formelle que ce traître lui fit « de ne plus s’occuper d’arranger l’affaire, s’il ne consentait à s’absenter durant quelques semaines, » pour déterminer le marquis à gagner Bruxelles, ce qu’il fit pourtant dès le lendemain.

Ses deux mortels ennemis ne l’eurent pas plus tôt écarté qu’ils voulurent mettre le temps à profit. Le président, qu’on avait une fois encore réconcilié avec sa bru, employa tous les moyens imaginables pour reconquérir quelque ascendant sur elle. Jamais il ne s’était montré ni plus empressé ni plus jaloux. D’Egvilly, feignant d’entrer dans ses intérêts et devinant bien que son frère tenterait par toutes les voies possibles d’établir un commerce de lettres avec Mme de Novion, conjectura aussi que ces communications arriveraient sous le couvert de leur obligeante amie. Un facteur de la poste, qu’il parvint à corrompre, lui livra effectivement deux plis adressés à Mlle de ***. M. de Fresne, par bonheur, étonné du silence obstiné que gardaient vis-à-vis de lui ses belles correspondantes, eut comme une intuition de la vérité. Sa troisième lettre, expédiée par une autre voie, arriva sans encombre à destination, et il reçut cette fois double réponse. Dans celle de Mlle de *** il trouva de quoi confirmer les soupçons qui lui étaient déjà venus au sujet des menées de d’Egvilly, menées que lui signalaient d’ailleurs d’autres amis, et qu’il tint désormais pour très suspectes, sans vou-