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sions que le président et devant profiter en outre de tout ce que perdrait son frère aîné, si leurs efforts combinés amenaient sa ruine complète, d’Egvilly était pour l’irascible et vindicatif magistrat l’instrument le plus utile et le plus sûr que sa vengeance put réclamer. Ces deux hommes donc s’entendirent à demi-mot, et du concert qui s’établit entre eux sortit un projet digne en tout point de leur profonde scélératesse; mais ce projet, qu’on va voir se révéler, nécessitait une autre complicité, car ni l’un ni l’autre n’était disposé à se commettre personnellement. Le bras dont ils avaient besoin ne se fit pas chercher longtemps. Le troisième frère du marquis, le chevalier d’Egvilly, — honte de sa famille, effroi des honnêtes gens, perdu de dettes et déjà depuis des années mortellement brouillé avec le marquis, — devait au premier signal, moyennant l’impunité que lui assurerait un allié comme M. de Novion, se prêter à tout ce qui servirait, en même temps que les projets d’autrui, ses intérêts qu’il croyait lésés, sa rancune exaspérée par une longue attente. Le président, que les violences du chevalier avaient effarouché, ne le recevait plus depuis des années. Il lui rouvrit son hôtel, et cependant avec assez de mesure, assez de prudence, pour ne pas donner l’éveil au marquis, dont il continuait à souffrir les assiduités, et vis-à-vis de qui à dessein il gardait tous les dehors de l’amitié la plus cordiale.


IV.

Entre Neuilly et le Roule, s’en revenant de Saint-Germain vers neuf heures du soir, M. de Fresne vit son carrosse arrêté dans un endroit désert par cinq ou six hommes armés, dont l’un, qui paraissait être le chef, ouvrit brusquement la portière et le somma de livrer sa bourse. En même temps, et sans attendre la réponse du marquis, il le visait délibérément de son pistolet, que celui-ci releva du coude fort à propos au moment où le coup allait partir. Cela seul l’empêcha d’être atteint, car l’assassin ne comptait pas l’épargner, et l’arme, ainsi qu’on le put voir, n’était pas seulement chargée à poudre. Les balles firent voler en éclats une des glaces du carrosse, et, dûment averti qu’on en voulait non à son argent, mais à ses jours, M. de Fresne, pour les défendre le mieux qu’il pourrait, se jeta par la portière opposée hors de la voiture. Là, plusieurs autres coups furent dirigés contre lui; mais ils n’atteignirent que son valet de chambre. Celui-ci eut le bras cassé d’un coup de mousqueton, et les brigands auraient eu raison de la victime qu’ils étaient venus attendre, si l’équipage de la comtesse de Soissons, qui rentrait, elle aussi, à Paris avec bonne escorte, ne les