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gravité du reste de cette histoire, et si son caractère tragi-comique est en désaccord avec les déplorables événemens dont en quelque sorte il donna le signal, nous n’estimons pas que ce soit là une raison suffisante pour le supprimer, la vie étant ainsi faite que, dans sa trame confuse, la joie et la douleur, les rires et les larmes, l’élégie et la comédie se mêlent incessamment, comme dans un tissu bariolé les soies ou laines de couleurs diverses.

On chassa une partie de la journée. Au retour, tandis que les hommes se promenaient dans les jardins, Mme de Novion s’alla mettre au lit pour une heure ou deux; mais elle y resta comme bloquée par d’indiscrets joueurs qui vinrent s’installer chez elle, et, l’heure du souper étant venue sur ces entrefaites, le maître de la maison fit dresser la table dans la ruelle du lit que son idole n’avait pu quitter encore. Malgré la tristesse que M. de Fresne ne pouvait s’empêcher de marquer de temps à autre par quelques soupirs en voyant s’écouler si vite et si vainement les heures précieuses de ce bref séjour, les convives s’égayaient peu à peu, et Mme de Novion elle-même, par son enjouement, encourageait les rires, les chansons de cette joyeuse compagnie. Son mari ne participait que du bout des lèvres, comme malgré lui, à l’allégresse générale. Le couvert enlevé, M. de Fresne prit place au pied du lit de sa belle, à côté de Mlle de ***, qui, pendant tout le repas, y était demeurée. Le mari était au chevet de sa femme, plus revêche et plus boudeur que jamais.

On ne sait à quel propos, durant une délibération fort animée sur les passe-temps qui allaient occuper l’après-soupée. Mlle de *** se pencha vers son amie pour lui glisser à l’oreille une plaisanterie probablement assez vive, qui les fit en même temps éclater de rire. Là-dessus, sans qu’on pût deviner la cause de ce transport subit, M. de Novion, tout à coup exaspéré, jeta violemment la main au visage de cette malheureuse fille, et du même trait, tirant de sa poche une sorte de grand couteau comme en ont les chasseurs, il allait bien certainement la tuer sur place, si un des hôtes de M. de Fresne ne se fût jeté à corps perdu sur ce furieux. On laisse à penser la stupéfaction causée par un emportement si extraordinaire, suivi des injures les plus excessives et de menaces atroces. Épouvantée autant que personne, Mme de Novion, d’une voix tremblante, demanda pourtant à son mari l’explication de cette fureur incompréhensible. — Vous n’en savez que trop la cause, lui répondit-il, et déjà il levait la main sur elle, ce qui la réduisit à se jeter hors du lit, sans tenir compte des regards indiscrets, et à se réfugier, pieds nus, dans une garde-robe voisine, où une de ses filles vint tout aussitôt lui apporter de quoi se vêtir.