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autre lien, se risquât à pareille aventure, encore cela pouvait-il se comprendre; mais M. de Fresne était lui-même, pour son malheur, sous le joug de l’hyménée, et par cela même il abordait dans les pires conditions de toutes une lutte presque sans issue. La moindre réflexion, le moindre retour sur lui-même l’eussent infailliblement arrêté. Nous en dirions autant de Mme de Novion, si le profond désespoir où il venait la surprendre à l’improviste, le trouble, l’inquiétude, les poignantes perplexités qui l’agitaient en cette heure fatale, n’excusaient l’imprudence de ses épanchemens. Ils furent sans réserve, et n’inspirèrent que trop d’intérêt à celui qui les avait obtenus. — Puis-je m’assurer, dit-elle en terminant, que si j’ai besoin de votre secours, vous me servirez comme vous venez de me le promettre, et dois-je espérer que, contre mon beau-père lui-même, mes intérêts vous paraissent encore dignes d’être défendus? — On devine la réponse du marquis : elle l’engageait sans réserve, biens, personne, existence tout entière, au service de la dame qui, l’honorant d’une glorieuse confiance, l’avouait ainsi son défenseur... Mais au moment où la conversation prenait ce tour exalté survinrent des importuns qui l’interrompirent brusquement et contraignirent M. de Fresne à s’éclipser aussitôt, afin d’éviter les soupçons que sa présence suffisait pour faire naître.

Pendant les journées qui suivirent, et qu’il fallut passer sans revoir Mme de Novion, il est à croire que le marquis s’interrogea sérieusement sur les mobiles de sa conduite. Vainement il essayait de se donner le change et de n’attribuer qu’à une compassion très naturelle d’ailleurs, l’élan de cœur avec lequel il s’était voué corps et âme au service de cette intéressante personne : ses souvenirs, qui la lui montraient toujours plus belle, l’accent ému de cette voix touchante qui vibrait sans cesse à ses oreilles, l’obsession de cette image obstinée qui se représentait à lui jusque dans ses songes, ne lui permirent pas de se faire longtemps illusion; mais, certain d’aimer et d’aimer profondément, à quel retour devait-il s’attendre? Tout au plus lui était-il permis de se bercer de quelque espérance puisée dans la franchise avec laquelle lui avait parlé une femme dont la hauteur d’âme, la fierté bien connue, rendaient doublement significative une si prompte confiance. D’un autre côté, les circonstances, l’émotion du moment, le besoin immédiat de consolation et d’appui, pouvaient expliquer ce flatteur abandon sans qu’on dût y voir la preuve d’aucune préoccupation favorable, d’aucune préférence antérieure.

On imagine bien que, dans de pareilles dispositions d’esprit, notre amoureux cherchait avec zèle toutes les occasions de revoir celle qui prenait peu à peu la principale place dans sa vie; mais,