Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ans, n’en avait guère que quarante-deux en 1662, époque où il maria son fils aîné[1] à la fille du président de Bercy, et cette fille est justement l’héroïne de notre roman[2].

Roman! est-ce bien roman qu’il faut dire? Le document dont nous allons nous inspirer ressemble bien plutôt à un mémoire justificatif[3]. Ajoutons qu’il est très permis de douter que tout ce qui va suivre soit fiction pure. L’écrivain anonyme se donne pour l’ami intime du malheureux captif au nom duquel il sollicite la révision d’une sentence inique; il a connu non-seulement la belle personne en l’honneur de qui ce dernier fut persécuté, mais presque tous les acteurs secondaires de cette espèce de drame. Il les nomme en toutes lettres, et ce sont personnages authentiques, dont la plupart pouvaient encore être vivans au moment où ce singulier factum fut livré à la curiosité publique[4]. Le roman, même historique, ne se donne pas de telles licences, et ne va pas au-devant de si faciles, de si éclatans démentis. De plus il a d’autres allures, il se déroule dans son unité avec plus de suite et de logique. Il court au dénoûment par des chemins plus directs, et subordonne aux besoins d’une ordonnance préconçue les hasards, les inconséquences de la réalité.


I.

Le mariage de l’aîné des Novion avec la fille du président de Bercy, des mieux assortis sous le rapport du rang et de la fortune, ne l’était guère à un autre point de vue. La jeune victime qu’on traînait à l’autel, — elle ne s’y laissa conduire qu’après avoir versé bien des larmes, — outre qu’elle était l’un des partis les plus avantageux que Paris pût offrir, brillait entre toutes par le charme touchant de sa beauté. Ses grands yeux noirs, sa chevelure de même

  1. André Potier, marquis de Novion, seigneur de Grignon et d’Orches, conseiller en 1657, avocat-général en 1663, mort en 1677 et enterré aux Saints-Innocens.
  2. Catherine-Anne Malon de Bercy, fille du doyen des maîtres des requêtes et de Françoise Berthelin.
  3. C’est un petit volume publié à Paris en 1702, chez Pierre Gendron, à l’enseigne du Bon Corsaire. L’éditeur réel ou supposé, M. de ***, pressé par une dame de Rouen qui veut absolument connaître les secrets motifs de la disgrâce du marquis de Fresne, lui fait passer, avec la permission de ce dernier, quelques renseignemens authentiques à ce qu’il affirme) sur les événemens qui ont précédé et causé la captivité de cet infortuné, détenu depuis quinze mois dans une prison d’état : — Mémoires pour servir à l’histoire du marquis de Fresne, voilà le titre placé sur la première page.
  4. Le second fils de Mme de Novion, colonel du régiment de Bretagne, vivait encore en 1702. Le père Anselme nous apprend qu’il mourut subitement à Paris le 1er mars 1707, à l’âge de quarante et un ans. Il était donc né vers 1666, c’est-à-dire vers l’époque où se place approximativement le début de notre récit.