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Ce sont résultats du despotisme; un peuple libre en est naturellement exempt.

Novion vécut encore quatre ans dans un discrédit, un abandon à peu près complets, et mourut en son château de Grignon, près Villepreux, vers la fin de 1693, âgé de soixante-treize ans.

Pour le décider à se démettre, — car il résistait effrontément aux menaces du monarque, — on avait dû lui faire entrevoir une charge de président à mortier qui passerait sur la tête de son petit-fils, seul héritier de sa maison. La promesse fut tenue, et, malgré la flétrissure infligée au nom qu’il portait, ce dernier Novion prit à son tour place à la tête du parlement sous le ministère du duc de Bourbon, aussitôt après la mort du régent. Voici comment Saint-Simon enregistre le fait. « Un fou, dit-il, succéda à un scélérat dans la place de premier président au parlement de Paris. » Le scélérat, c’était Mesmes, mort d’apoplexie à soixante et un ans, après avoir exploité la facilité du duc d’Orléans, qui, parfaitement instruit de ses trahisons, se contenta de le confondre, et lui jeta par là-dessus cent mille écus à ronger. Le fou, c’était Novion, alors doyen des présidens à mortier, « ni injuste, ni malhonnête homme, comme l’autre premier président de Novion, son grand-père, mais qui, en dehors de la basse procédure, en laquelle il excellait comme le plus habile procureur, — c’est toujours Saint-Simon qui parle, — ne savait absolument rien de son métier. »

Ce Novion, aussi appelé marquis de Grignon, était « obscur, solitaire, sauvage, » plein d’humeur et de caprices, désolant les plaideurs par ses brusqueries et ses manies quand ils pénétraient jusqu’à lui, mais généralement barricadé contre leur visite dans son ancienne maison, où il se réfugiait volontiers pour causer tout à son aise avec un charron, son voisin, qui était, disait-il, l’homme le plus sensé du monde. C’est là, sur le pas de la boutique du charron, que maint plaideur obstiné vint chercher l’arbitre suprême de ses intérêts, et que l’un d’eux, le prenant pour un valet d’écurie, se plaignit à lui-même de l’humeur farouche et fantasque du premier président, dont il désespérait d’approcher pour lui remettre son placet. Le bizarre personnage, sans se nommer, prit la requête et fit gagner sa cause au plaideur stupéfait qui reconnut plus tard sur le siège fleurdelisé son protecteur inconnu[1].

On pourra se demander en quoi ces souvenirs parlementaires se rattachent à un récit plus ou moins romanesque. Le lien est facile à saisir. Novion l’ancien, mort en 1693, à l’âge de soixante et treize

  1. Cet étrange magistrat ne resta pas longtemps en place et donna lui-même sa démission après quelques mois d’exercice. Il était conseiller dès 1680 et maître des requêtes en 1687.