Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/340

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ce qui montre surtout combien la société euskarienne, si peu importante par le nombre, était supérieure aux populations voisines par ses élémens de civilisation, c’est le grand respect qu’on y avait pour la personne humaine. Tout Basque était absolument inviolable dans sa demeure : en ce château-fort, sauvegardé par le respect de tous, il était plus en sûreté que ne l’était le Français du moyen âge au pied de l’autel ou que ne l’est aujourd’hui l’Anglais défendu par les privilèges de l’habeas corpus. Si d’autres Ibères, libres comme lui, portaient devant le conseil une accusation contre sa personne, sa maison n’en restait pas moins sacrée pour tous, et quand le moment était venu de répondre à l’imputation, il sortait fier et superbe, le béret sur la tête, le bâton dans la main, et, digne comme les pairs qui allaient le juger, il arrivait sous le chêne de Guernica, où se tenaient les assises : c’était en pleine nature, en vue des montagnes et de la mer, sous le vaste branchage d’un arbre dix fois séculaire, que siégeaient les prud’hommes assemblés ; c’était là que l’Euskarien, debout devant ses juges et ses accusateurs, répondait comme un homme libre à ses égaux[1]. Aucun homme, à moins qu’il ne fût convaincu de crime, ne pouvait être privé de sa demeure, de son cheval et de ses armes ; jamais on ne portait la moindre atteinte à sa liberté personnelle. D’ailleurs, pour le Basque, la liberté absolue des allures était la vie elle-même : c’est pour ne pas dépérir d’ennui que tant de jeunes gens échappent par la fuite à la conscription, que chaque année des milliers d’hommes s’arrachent à notre société autoritaire et formaliste, pour aller respirer un air libre dans les pampas du Nouveau-Monde. Augustin Chaho, à qui l’on pourrait donner le nom de « dernier des Basques, » qu’il donnait lui-même à Zumalacarreguy, préféra s’enfermer dans une chambre étroite, au cinquième étage d’une maison de Bayonne, plutôt que de subir dans les rues et les promenades la surveillance ignoble de trop zélés agens. Lui qui, après la liberté, chérissait la nature par-dessus tout, resta pendant plus d’une année sans autre vue que celle des toits pressés d’une ville, et s’éteignit enfin par manque d’air et de mouvement, sans avoir pu terminer les grands travaux qu’il avait entrepris sur sa langue bien-aimée.

On peut juger un peuple par ses jeux, car l’homme, quand il se laisse emporter au plaisir, oublie de veiller sur son attitude et révèle ainsi le fond même de sa nature. Si cette nature est mauvaise ou vulgaire, c’est précisément au milieu des fêtes qu’elle se montre dans toute sa laideur ou sa pauvreté, tandis que, si elle est vrai-

  1. L’arbre célèbre existe encore, mais la junte des provinces basques se réunit dans un palais construit sur la grande place où se pressait autrefois la foule des citoyens.