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ne craignent pas d’aller s’établir sur un autre hémisphère ; enfin la redoutable conscription militaire décide assez fréquemment le jeune montagnard à quitter le sol de la patrie. Les Basques sont classés parmi les meilleurs soldats de l’armée à cause de la vigueur de leur jarret, de leur sobriété, de leur bonne conduite, de leur courage ; mais à ces qualités militaires ne se joint pas l’amour du métier. Jaloux à bon droit de sa liberté personnelle, le descendant des nobles Ibères frémit à la pensée de ne plus s’appartenir pendant de longues années et de passer la meilleure partie de sa jeunesse dans la triste vie de garnison, voyageant de caserne en caserne : aussi les réfractaires sont-ils toujours très nombreux parmi les Basques arrivés à l’âge de la conscription. Les chiffres officiels témoignent hautement de cette aversion de l’Euskarien pour le régime militaire, car sur tous les insoumis français le département des Basses-Pyrénées en a compté parfois à lui seul les deux cinquièmes ou la moitié. Les jeunes gens quittent la France pour éviter la servitude, et par leur exemple ils encouragent leurs compatriotes à les imiter. Au nombre des causes qui activent l’émigration il faut aussi compter la perte de l’autonomie politique et municipale dont jouissaient récemment encore les villages confédérés des hautes vallées. Telle est peut-être la raison pour laquelle les exils volontaires sont beaucoup plus fréquens chez les Basques français que chez ceux de l’autre versant pyrénéen. Les habitans des provinces basques de l’Espagne ayant encore leurs fueros n’ont pas cessé d’être un état dans l’état ; ils ont une ombre d’existence nationale et par suite l’amour du sol leur reste plus au cœur que chez leurs frères du Labourd et de la Soule.

Les noms euskariens que portent tant de familles du Béarn, Élisabide, Elisagaray, Élisalde, Detchebarne, Etcheco, Daguerre, sont une preuve de cette émigration continuelle qui dépeuple les vallées pyrénéennes au profit des plaines voisines. De nos jours c’est principalement vers les grandes cités de l’Aquitaine que se dirige l’exode du peuple ibère pour aller se mêler aux populations gasconnes. À Bordeaux, capitale naturelle de tout le sud-ouest de la France, des milliers de Basques travaillent comme arrimeurs, portefaix, artisans, employés de commerce. Un certain nombre de Basquaises entrent aussi dans les familles comme domestiques, et malheureusement plusieurs d’entre elles, plus courtisées que d’autres à cause de leur beauté, et souvent sollicitées par la misère, acquittent bien tristement la rançon de leur vie d’exilées. La statistique bordelaise résume en quelques chiffres brutaux l’existence de honte réservée à ces pauvres jeunes filles sorties de leur village natal le cœur rempli d’espérance et de joie.