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l’école flottante, training ship, ce fut une barque qui, coupant le courant du fleuve à force de rames, me conduisit vers cet hôpital sur l’eau. L’institution fut fondée durant l’hiver de 1817 à 1818, alors qu’un grand nombre de matelots atteints de maladies plus ou moins graves erraient sans secours dans les rues de Londres. Le premier navire qui fut converti en un hôpital pour les hommes de la marine marchande et qu’on amarra dans la Tamise, à la hauteur de Greenwich, était le Grampus. En 1830, ce bâtiment ne suffisait plus au nombre des malades, et d’un autre côté combien s’étaient accrues les ressources de cette œuvre charitable, alimentée comme toujours par des contributions volontaires ! Le comité obtint alors du gouvernement un autre vaisseau de ligne, le Dreadnought, qui fut remplacé lui-même en 1857 par le Caledonia. Seulement, comme la réputation du Dreadnought était bien établie, son successeur consentit à se débaptiser et à prendre son nom. C’est donc l’intérieur du nouveau Dreadnought que j’allais visiter.

Il est intéressant de voir le parti qu’on a su tirer de cet ancien vaisseau de guerre. Comment croire qu’on y ait trouvé de la place pour les logemens des médecins (surgeons), une jolie chapelle, un musée d’anatomie, une pharmacie, une lingerie et quantité d’autres compartimens nécessaires au service d’un hôpital ? La première salle de l’infirmerie, celle qui occupe l’étage supérieur, est connue sous le nom d’accident ward. C’est là en effet qu’on reçoit les marins blessés ou mutilés par quelques-uns des accidens si communs sur les navires. Si cette institution n’existait point, beaucoup d’entre eux seraient obligés de pousser jusqu’à Londres, et peut-être d’attendre plusieurs jours avant d’être admis dans un hôpital. Le Dreadnought se trouve au contraire sur leur chemin, et à chacun des malades on demande non point de quel pays il est, mais ce dont il souffre. Les matelots de toutes les contrées sont recueillis à l’instant même sans aucune lettre de recommandation. J’y ai vu en effet plusieurs hommes de couleur[1]. Le long de cette grande salle, les lits qui succèdent aux lits et dans lesquels s’allongent des formes humaines, les fenêtres basses percées dans les flancs du navire, la lumière qui rejaillit en quelque sorte de l’eau du fleuve, tout produit un effet extraordinaire et mélancolique. Deux autres ponts (decks) sont consacrés au traitement de diverses maladies. Les hôpitaux anglais n’ont point de sœurs de charité ; des nurses (gardes-malades) habillées de noir, mais à la manière des

  1. Depuis la fondation, 94,879 matelots, dont 2,418 Hindous, 524 Africains, 53 Chinois, sans compter les naturels de la Nouvelle-Zélande et des Nouvelles-Galles du Sud, ont reçu l’hospitalité du Dreadnought. Les Français figurent sur cette liste pour le chiffre de 499. L’institution jouit d’un revenu de plus de 16,000 liv. sterl. (400,000 fr.).