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fourneaux avec un certain air d’importance. Le principe est en effet que tous les travaux d’économie domestique doivent s’accomplir par la main des élèves. Le second pont est occupé durant la nuit par des hamacs : c’est le dortoir. Tous ces arrangemens, quoique jusqu’ici très incomplets, ont déjà entraîné une dépense de 3,000 liv. sterl. (75,000 fr.), et un tiers de cette somme n’est point encore couvert par les souscriptions. Cependant les directeurs ont pleine confiance : l’argent a-t-il jamais manqué en Angleterre à une œuvre utile ? L’idée est-elle bonne et pratique ? C’est toute la question du succès.

Pour juger de cette nouvelle institution navale, il faut un peu se reporter aux circonstances dans lesquelles elle s’est fondée. Il y a près d’un an qu’un écrivain anglais, M. James Greenwood, appela l’attention de ses concitoyens sur le casual ward, salle des work-houses dans laquelle se rendent pendant la nuit tous ceux qui, vivant à Londres sur le hasard, n’ont ni un lit pour se coucher ni un toit pour abriter leur tête[1]. Grâce à lui, on apprit que dans ces repaires des enfans se rencontraient pêle-mêle avec des hommes du caractère le plus immoral. Cet incident émut plusieurs âmes charitables, et l’on se mit à rechercher tous les petits vagabonds qui avaient coutume de dormir dans les casual wards de Londres ou dans d’autres antres non moins ténébreux. Le 14 juillet 1866, on les invita à un souper que leur servit le refuge établi dans Queen-street (boys’ refuge). Près de deux cents d’entre eux se rendirent à cet appel, et le meeting eut un caractère si touchant qu’en présence de ces enfans sans feu ni lieu plusieurs ladies eurent de la peine à retenir leurs larmes. Le président adressa aux petits bohémiens diverses questions, afin de découvrir la cause de leur misère et le remède qu’il convenait de lui appliquer. « Si jamais, leur demanda-t-il, un vaisseau destiné à servir d’école pour la marine était amarré dans la Tamise, combien d’entre vous désireraient y entrer ? » Tous levèrent la main. À peine le Chichester fut-il mis à la disposition du comité qu’une cérémonie eut lieu à Blackwall pour inaugurer la nouvelle mission du navire. Depuis lors il s’est avancé vers la mer, à la hauteur de Greenhithe, où il doit rester ; il a déjà recueilli cinquante jeunes arabes trop heureux de planter enfin leur tente sur l’eau ; il en attend vingt-cinq autres, et avant la fin de l’année on espère pouvoir donner asile dans le vais-

  1. Au lieu de se fier à de vagues enquêtes, M. James Greenwood résolut de pénétrer lui-même dans ce rendez-vous de toutes les misères. Il se déguisa, cacha son nom, et sous des haillons d’emprunt eut le courage de passer la nuit au milieu des habitués du ward. Le récit de ce qu’il avait vu et entendu eut un retentissement immense en Angleterre.