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semaines en vue de Greenhithe, je me rendis dans ce petit village, situé au bord de la Tamise. Arrivé sur la jetée (pier), je découvris en effet une frégate qu’on était en train d’amarrer à quelque distance du rivage : c’était bien l’école flottante que je cherchais. Il me fallut louer une barque, et à la suite d’une courte traversée, — durant laquelle je rencontrai une église sur l’eau (Thames church), ancien esquif approprié aux besoins du culte et consacré aux marins qui veulent suivre les services religieux sans quitter leur élément, — j’atteignis la première marche d’un escalier de bois conduisant au pont du navire que je me proposais de visiter. En dehors même du bâtiment, quelques beaux adolescens à figure intéressante, revêtus d’un pantalon bleu, d’une grosse chemise en laine de la même couleur et d’une bonnette sur laquelle on lisait en lettres de cuivre Chichester (c’est le nom de la frégate), se livraient à diverses manœuvres. Étaient-ce bien là ces mêmes enfans perdus des rues de Londres que les Anglais désignent sous le nom d’arabes à cause de certaines habitudes farouches et vagabondes ? À bord, je fus reçu par le commandant, M. A.-H. Alston, jeune et intelligent officier de la marine de l’état. Il voulut bien me montrer avec une extrême obligeance l’intérieur du vaisseau et les dispositions qu’on venait de prendre pour le convertir en une école navale. Le Chichester n’est pas né d’hier, il a vingt-six ans ; mais, ainsi que tant d’autres bâtimens de guerre construits par les ordres de l’amirauté, il n’a jamais servi. Sa destinée était sans doute de pourrir à l’ombre de quelque dockyard, lorsque le gouvernement anglais eut le bon esprit de le prêter (est-ce dans le langage officiel un synonyme de donner ?) à l’expérience morale qui se poursuit en ce moment sur la Tamise. Quand on le remit entre les mains des directeurs de la société[1], ce vaisseau n’était d’ailleurs qu’une carcasse ; les chantiers de l’état fournirent, il est vrai, les moyens de le mater et de le gréer, mais à la condition que les frais d’équipement, s’élevant à 2,000 livres sterling, seraient acquittés plus tard par une souscription du pays. Les trois mâts et les cordages qui surmontent aujourd’hui le Chichester forment naturellement un champ de manœuvres tout à fait essentiel pour l’éducation des mousses. Le premier pont (main deck) a été de même adapté aux besoins du service : il se divise en une classe (school room), un réfectoire (mess room) et une cuisine où deux jeunes garçons en habits de marin surveillent les

  1. Depuis 1852, il existe à Londres, dans Great-Queen-street, un refuge pour les enfans sans ressources et sans asile (refuge for homeless and destitute boys), soutenu par des contributions volontaires et administré par un comité dont l’évêque de Ripon est le président. C’est une branche de ce comité qui s’est chargée de négocier avec les lords de l’amirauté l’affaire du Chichester.