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n’avait alors que 40,288 présens sous les armes, et quinze jours plus tard 33,338 seulement répondaient aux appels. Qu’on juge par là de la situation de nos armées! Et cependant l’ouest avait pris les armes, Lyon était insurgé, Toulon au pouvoir des Anglais, toutes nos frontières étaient envahies, et si la barrière des forteresses de Vauban n’eût pas ralenti des généraux heureusement trop méthodiques, peut-être le mal eût-il été irréparable. C’est dans ce moment de suprême péril que Carnot entra au comité de salut public (14 août 93).

Six jours plus tard, la « levée en masse » était votée par la convention nationale. Elle différait essentiellement de la réquisition. Plus dure en apparence, elle était en réalité moins vexatoire et moins écrasante. La loi du 20 février tenait tous les citoyens de 18 à 40 ans (un moment même de 16 à 45) sous le coup d’un appel arbitraire, et les soumettait au caprice d’un représentant, d’un maire, d’un agent de police; celle du 20 août mettait un terme à la fantaisie administrative, n’atteignait que les hommes de 18 à 25 ans, mais dans cette limite elle saisissait tout le monde, elle fut acceptée par le bon sens et le patriotisme de la nation. En six mois, tout l’appareil de la terreur avait été impuissant à réunir les 300,000 soldats requis en février, et en trois mois la levée en masse était achevée sans avoir rencontré de résistance sérieuse; qu’on ne vienne plus nous dire que c’est la guillotine qui a sauvé la France[1]! Au 1er janvier 1794, l’effectif était remonté à 770,932 hommes; en déduisant les armées de l’ouest, des côtes, de l’intérieur, les dépôts, les non-valeurs, on peut estimer, en nombres ronds, qu’alors la France, attaquée par 400,000 coalisés, leur opposa 500,000 combattans en ligne, chiffre imposant que nous croyons exact, quoiqu’il soit inférieur aux évaluations de Cambon, et qui jusqu’à ce jour n’a jamais été dépassé dans aucune armée exclusivement composée de troupes nationales[2].

Les armes, les munitions avaient manqué autant que les hommes. Ici on fit des prodiges. Guidée par la science, assistée par tous, une industrie nouvelle s’improvisa; la France ne fut qu’un vaste atelier

  1. Voici un détail biographique qui met assez bien en lumière les différentes phases du recrutement pendant les années 92 et 93. Un des plus braves généraux de cavalerie de l’ancienne armée impériale a raconté maintes fois devant moi les débuts de sa carrière : parti comme volontaire à la fin de 91, il était retourné chez lui au bout d’un an sans être inquiété, interrogé par personne. Désigné par la réquisition, il n’avait pas rejoint; repris par la levée en masse, mais dégoûté du service de l’infanterie, il ne se rendit pas au corps qui lui était indiqué, et entra dans un régiment de chasseurs à cheval, où il gagna ses premiers grades à la pointe de son sabre.
  2. En septembre 94, l’effectif montait sur les contrôles à 1,169,000 hommes; mais le chiffre des hommes présens ne dépassait pas 750,000 tout compris, ce qui ne modifie pas le chiffre moyen de combattans en ligne que nous avons indiqué.