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tion de l’Othello de Shakspeare, coup d’intelligence plus que de génie, mais coup décisif autant qu’habile et qui est de ceux qu’affectionnent les politiques. Les rares et courtes préfaces qu’il a placées en tête de quelques-unes de ses œuvres témoignent d’une intelligence singulièrement méditative, qui comprend à merveille le vrai caractère des questions qu’elle examine, la vraie difficulté des nœuds qu’elle doit trancher. Telle est la préface de son Cinq-Mars sur la nature de la vérité dans l’art, où sur certains points il touche à la profondeur ; telle est surtout la préface de son Othello, vrai petit chef-d’œuvre de bon sens et de gaîté où il expose si nettement les raisons qui lui ont fait préférer une traduction de Shakspeare à une œuvre dramatique personnelle, et où il raconte si gaîment les longues hésitations de la Melpomène française avant de se décider à prononcer tant haut le mot mouchoir sur la scène. Les meilleures raisons que l’on puisse donner en faveur des droits discutables de la propriété littéraire, c’est lui qui les a données le premier, ici même, à cette place où nous écrivons, dans les pages qu’il a consacrées à Mlle  Sedaine. Si l’on n’a point assez remarqué peut-être jusqu’à présent la valeur réelle de cette intelligence, c’est, hélas ! que l’instrument, plus faible que la pensée, trahit souvent l’intention du poète ou ne l’exprime que d’une manière trop languissante ou incomplète. Il manque à de Vigny ces qualités de relief, de forte couleur, qui font saillir l’idée et l’assènent vigoureusement sur l’esprit du lecteur ou de l’auditeur ; mais livrez les mêmes thèses sociales qu’il a discrètement soutenues à quelque logicien habile et retors comme Jean-Jacques, supposez les pensées premières qui sont le germe de ces poèmes, celle de Moïse par exemple, tombées dans le cerveau d’un Byron, et vous comprendrez jusqu’où aurait pu porter cette intelligence, si elle eût été servie par ces facultés qui tiennent au tempérament.

L’intelligence est tellement la faculté propre de M. de Vigny que c’est par elle et par elle seule qu’il est poète. Il faut toujours tenir grand compte du tempérament lorsqu’on veut comprendre les poètes, il faut en tenir compte surtout lorsqu’on veut comprendre les poètes lyriques qui plus que les autres sont soumis à la spontanéité et à la brusquerie des mouvemens de l’âme, et enfin il faut presque exclusivement s’adresser à lui lorsqu’on veut comprendre les poètes de notre temps chez lesquels il a dominé, comme il n’avait jamais dominé chez les poètes d’aucune époque précédente. Jamais cependant le tempérament ne fut moins marqué chez un poète qu’il ne l’est chez de Vigny, et par là il est le seul de ses contemporains qui se rattache à la lignée de nos anciens poètes français en qui parlèrent seulement deux des trois âmes que Platon donne à l’homme. Il faut donc chercher l’origine de tous les poèmes de