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nés pour convertir et châtier les religionnaires ne furent bientôt plus que des bandes. Ici Louvois est sans excuse : dégagé de tout zèle religieux, de toute ardeur de prosélytisme, animé de la seule rage du despotisme, il fut un instigateur pressant, un instrument passionné ; il conseilla la mesure, fournit les moyens, inventa la déportation, les persécutions militaires, et ce grand disciplinaire s’oubliait au point de recommander « qu’on fit faire aux soldats le plus de désordre possible. »

C’est avec les malingres tirés du camp de Maintenon, avec les pillards ramenés du Poitou et du Languedoc, qu’il fallut faire face à une nouvelle coalition, fruit de notre politique insolente, combattre sur le Rhin, en Flandre, en Italie, en Irlande (1688). Les chefs demandaient ce qu’ils pouvaient faire avec ces troupes « qui fondraient à la première fatigue. » Le ministre ne tenait pas compte de leurs observations. Il ne voulait pas s’apercevoir qu’il avait miné lui-même l’édifice élevé de ses mains ; d’ailleurs il espérait inaugurer un nouveau genre de guerre, sans hasards, sans batailles, sans marches rapides, où l’on n’aurait vu que des campemens marqués d’avance, des sièges calculés à heure fixe, des bombarderies et des dévastations. Il se laissait aller à une confiance sans bornes dans les vertus de la centralisation, qu’il avait assurément bien fait d’appliquer aux affaires militaires (car là du moins personne ne peut la blâmer), mais que là même il avait fini par exagérer. Le contact des généraux dignes de ce nom lui avait toujours été insupportable ; il ne s’était pas contenté de les soumettre, il avait voulu les annuler, et s’indignait de leur opposition aux rapports directs qu’il voulait établir avec leurs subalternes, de leur résistance aux pouvoirs illimités dont il armait les intendans. Délivré de Turenne par un boulet, de Condé par la goutte, il avait vu les portes de la Bastille se fermer sur Luxembourg, qui avait conservé certaines allures indépendantes, justifiées par sa naissance et ses talens ; Créqui, avec qui il fallait aussi compter, venait de mourir. Louvois ne songeait pas à les remplacer sérieusement ; l’infatuation, le goût des hommes commodes, ces deux vers rongeurs du despotisme, égaraient son jugement. Avec des tacticiens de cabinet, des ingénieurs, des munitionnaires, des généraux-porte-voix à la tête des troupes, il croyait suffire à tout. Une expérience de deux ans lui apprit la vérité de cet axiome bien connu, que les plans de campagne ne valent que par l’exécution. Tout alla mal. Notre prestige nous protégeait encore, quelques faits d’armes consolaient notre amour-propre ; mais nous reculions partout, notre péril grossissait chaque jour avec le nombre de nos ennemis, augmenté par des alliances nouvelles et par la fureur des populations, qui couraient aux armes pour se venger de nos incendies et de nos