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glaciers ne seront pas immobiles, mais descendront sur les pentes les plus faibles, arrondissant, polissant, striant les roches dures, et transportant au loin des blocs erratiques. Pendant cette longue période, l’Amérique, pas plus que la Scandinavie, les îles britanniques et le Groenland lui-même, n’est restée immobile. Comme tous ces pays, elle s’est élevée au-dessus de la mer et s’est affaissée au-dessous. Des terrains de transport ont couvert dévastes surfaces continentales, puis se sont enfoncés dans l’océan; d’autres, formés au sein des eaux marines, ont émergé. De là une complication des phénomènes glaciaires qui n’existe pas dans l’intérieur des continens, dans les Alpes, dans les Pyrénées ou dans les Vosges, mais qui apparaît dès qu’il s’agit d’un pays voisin de la mer ou entouré par elle. Aussi retrouverons-nous en Amérique la plupart des phénomènes que nous avons déjà observés en Scandinavie. La grande différence entre les deux pays, c’est que l’axe de la Scandinavie est formé par une chaîne de montagnes élevées, point de départ et d’appui des anciens glaciers. Rien de semblable dans le nord de l’Amérique : ni les chaînes du Vermont ni les Montagnes-Blanches ne sont des centres d’irradiation : elles sont sillonnées de stries rectilignes dont l’orientation n’est point influencée par le relief et la direction des montagnes, mais reste constante dans une même contrée. Ainsi M. Desor constate que dans la Nouvelle-Angleterre et dans le Bas-Canada les stries courent en général du nord-ouest au sud-est. Aux chutes de Niagara, le calcaire silurien porte des stries orientées du nord au sud. Sur les bords des lacs Michigan et Supérieur, la direction est du nord-est au sud-ouest, en sorte que, vu dans son ensemble, le système des stries de l’Amérique du Nord forme un immense éventail dont les branches convergent vers le nord : on les trouve à la fois dans les plaines, dans les vallées les plus étroites et sur les montagnes jusqu’à la hauteur de 1,500 mètres. Peu de sommets, le mont Washington, le mont Lafayette par exemple, dépassent cette altitude, et ce sont les seuls dans la Nouvelle-Angleterre qui n’aient pas été recouverts par la glace. Un certain nombre de géologues attribuent ces stries à des glaces flottantes. Les deux chefs incontestés de la géologie en Angleterre, sir Roderick Murchison et sir Charles Lyell, si souvent divisés sur les questions fondamentales de la science, sont d’accord pour affirmer avec M. Redfield que ces stries ont été burinées par des glaces flottantes entraînées par de violens courans et poussées sur des roches recouvertes de galets, ou portant elles-mêmes des cailloux incrustés dans leur face inférieure; mais quand je revois les grandes plaques du calcaire de Trenton détachées sur les bords du lac Champlain, les granités de West-Point, les grès houillers de Boston, les poudingues de Roxburg, dont je dois les