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Angleterre. Voici ce qui s’était passé : un baleinier américain de New-London, le George-Henri, commandé par le capitaine Buddington, naviguait en septembre 1855 dans le détroit de Davis, près du cap Walsingham, par 67 degrés de latitude. Il était entouré d’énormes glaces flottantes. L’une d’elles entraînait un corps noir qu’il était difficile de distinguer. Le capitaine Buddington soupçonna que ce pouvait être un navire, et après huit jours d’efforts il parvint à l’aborder : c’était le Resolute encore en assez bon état. Un certain nombre d’hommes furent mis à bord, et le Resolute, naviguant de conserve avec le George-Henri, touchait à New-York, fut acheté 200,000 francs par le gouvernement américain, qui le renvoya complètement réparé en Angleterre, où il a repris sa place dans la marine de l’état[1]. Le Resolute passait parmi les matelots anglais pour être un navire heureux (a happy ship), et sa dernière aventure a mis le sceau à sa réputation : entraîné par les glaces, il avait parcouru seul 1,850 kilomètres en seize mois.

On voit par cet exemple que les glaces flottantes des régions les plus reculées des mers arctiques charrient lentement vers le sud les blocs provenant des rochers de l’Amérique boréale, et les laissent tomber au fond de la mer jusqu’à la latitude des Açores, ou bien les déposent sur les côtes du Labrador, de Terre-Neuve ou du Canada jusqu’à la hauteur de la ville d’Halifax. Que l’Océan se déplace un jour, comme cela est probable, que ce fond de mer devienne un continent pareil à nos continens actuels, qui sont aussi d’anciens fonds de mer émergés, et l’être intelligent, égal ou supérieur à l’homme, son successeur probable dans sa royauté terrestre, verra d’innombrables blocs erratiques originaires de l’Amérique boréale gisant à la surface du continent habité par lui. Ce spectacle, nous l’avons dans les plaines de la Russie, de l’Allemagne septentrionale, sur les côtes orientale de l’Angleterre et septentrionale du Finistère. En effet, les changemens de niveau de la presqu’île scandinave nous enseignent qu’à l’époque glaciaire la distribution des terres et des mers n’était pas ce qu’elle est de nos jours. La côte ne s’élève ou ne s’abaisse pas seule; le fond de la mer voisine participe à ce mouvement. Ainsi la profondeur du golfe de Bothnie diminue en même temps que la côte suédoise s’élève, et on peut prévoir le temps où les îles d’Aland uniront la Suède à la Finlande. Les blocs erratiques déposés jadis par les glaces flottantes sur les osars suédois formés sous les eaux, mais émergés depuis, nous prouvent que le littoral était enfoncé dans la mer à l’époque de la dispersion de ces blocs. Les anciens glaciers de la Scandinavie et

  1. Voyez pour les détails The Eventfull voyage of the Resolute 1852-53-54, by George Mac Dougall, Master, 1857.