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lions de quintaux métriques. Le même navigateur a débarqué sur plusieurs de ces glaces flottantes et y a recueilli les échantillons des blocs qu’elles transportaient : c’étaient des quartz, des gneiss, des syénites, des diorites et des schistes argileux, par conséquent la même diversité de roches qu’on observe dans les moraines composées des glaciers actuels. Une autre glace flottante rencontrée par Kane était évidemment une portion latérale de glacier détachée de la masse principale, car sur une de ses faces on observait l’impression des saillies de la montagne avec laquelle elle était en contact, et à la surface l’extrémité de la moraine latérale qu’elle avait entraînée avec elle en se séparant. La glace flottante navigue ainsi chargée de débris, entraînée par les courans, ballottée par les marées et poussée par le vent; dans les parages où l’eau est moins froide, elle commence à fondre; le centre de gravité de l’iceberg se déplace, la masse oscille, se balance, prend une position différente de celle qu’elle avait auparavant, ou même chavire entièrement, au grand danger des bâtimens qui naviguent dans ses eaux. Alors les gros blocs de roche tombent au fond de la mer, tandis que les petits fragmens restent incrustés dans la glace. Arrivée dans des latitudes plus tempérées, celle-ci fond de plus en plus, et les blocs, les graviers dont elle est chargée disparaissent successivement dans les profondeurs de la mer. C’est ainsi que les légions de ces icebergs qui descendent le long de la baie de Baffin couvrent de blocs et de fragmens détachés des montagnes polaires le fond de l’Atlantique jusqu’à la latitude des Açores (40° 30’), au sud de laquelle on n’en rencontre plus. Ces convois naviguent dans un espace compris en latitude du 80e au 40e degré et en longitude du 70e au 40e. Même à leur limite méridionale, les glaces flottantes ont encore des dimensions considérables. Couthony a vu des icebergs échoués sur les atterrages de Terre-Neuve par 200 et 250 mètres de profondeur.

Le voyage de l’une de ces glaces flottantes du fond de la baie de Baffin jusqu’au milieu de l’Atlantique dure plusieurs années. En voici la preuve. Le 15 mai 1854, le navire le Resolute, un de ceux qui avaient été envoyés à la recherche de sir John Francklin[1], était pour la seconde fois pris dans les glaces au milieu du détroit de Barrow par 74° 41’ de latitude et 104° 50’ de longitude ouest du méridien de Paris. Sur l’ordre de l’amiral, sir Edward Belcher, l’équipage, qui avait déjà passé deux hivers dans les régions arctiques, fut autorisé à abandonner le navire pour rallier en voyageant sur la glace le North-Star, navire stationnaire à l’île Beechey. On croyait le Resolute perdu à jamais, lorsqu’on apprit l’année suivante qu’il était arrivé aux États-Unis, et ne tarderait pas à revenir en

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1866.