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d’Europe. On ignorait d’où provenaient ces blocs, on ne comprenait pas comment ils avaient pu être transportés; ces masses imposantes avaient frappé l’imagination superstitieuse des peuples, et jouaient un grand rôle dans les cérémonies mystérieuses du culte druidique. Le bloc le plus méridional de l’Allemagne, par 51° 16’ de latitude, signale la place où Gustave-Adophe tomba victorieux sur le champ de bataille de Lützen, près de Leipzig. La statue équestre de Pierre le Grand à Pétersbourg, par Falconnet, représente le fondateur de cette capitale sur un cheval qui gravit un rocher escarpé : ce rocher est un bloc erratique de la Finlande; il gisait dans un marais, à 6 kilomètres de la ville, et fut amené avec des peines infinies sur la place Isaac, où il figure aujourd’hui. Enfin le vase gigantesque qui se trouve devant le musée de Berlin n’est que la moitié d’un bloc erratique dont l’autre moitié gît encore non loin de la ville de Fürstenwalde, éloignée de 45 kilomètres à l’est de la capitale. Tous ces blocs ont été transportés par des glaces flottantes pendant la période glaciaire. Fidèles à la méthode qui consiste à expliquer les phénomènes géologiques par ceux dont nous sommes témoins à l’époque actuelle, examinons d’abord ce qui se passe aujourd’hui sous les yeux des navigateurs dans les mers arctiques.

Les glaciers polaires qui aboutissent à la mer an Spitzberg et au Groenland sont démolis par leur propre poids ou par le flot : ils s’écroulent partiellement dans la mer, et leurs débris forment de grands convois entraînés par les marées et les courans; ce sont les glaces flottantes ou icebergs. Le plus souvent elles sont composées d’une glace blanche à la surface, mais du plus beau bleu dans les parties creusées par l’action incessante des vagues qui les ballottent; ces glaces portent souvent aussi à la surface ou enchâssés dans leur masse les débris tombés des montagnes qui dominaient le glacier dont elles faisaient partie. Au Groenland, c’est quelquefois une portion considérable du glacier lui-même qui se détache, emportant avec elle les moraines qui la recouvrent. Les anciens navigateurs, Francklin, Ross, Parry, avaient déjà signalé ces glaces flottantes chargées de pierres et de blocs. Kane[1], comprenant l’importance géologique qu’elles présentaient, les a observées avec plus de soin. Ces icebergs sont souvent énormes, et l’un d’eux, en face la baie de Dunera, dans la mer de Baffin, avait 60 mètres de haut, un autre 280 mètres de long sur 40 de haut. Kane, tenant compte de la partie plongée sous l’eau, dont le volume est huit fois celui de la partie émergée, estime le poids de ce dernier à 1 milliard 220 mil-

  1. The Grinnel expedition in search of sir John Francklin, a personal narrative, by Elisa Kent Kane. M, D. U. S. N., 1854.