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sommation de louanges banales au profit des initiés de telle ou telle coterie, qu’il faut bien reprendre cela sur quelqu’un ou sur quelque chose. Ce ne sont pas seulement les travailleurs honnêtes et paisibles qui doivent payer les frais de cette prodigieuse consommation d’encens; on exerce des représailles sur les réputations qui semblaient le mieux à l’abri. On veut montrer son indépendance d’esprit en s’attaquant aux plus grands noms. On croit faire acte de talent en rabaissant des talens illustres. Cette émulation d’indépendance produit parfois des incidens comiques. On a vu des improvisateurs presque illettrés juger des systèmes que des vies d’étude et de méditation avaient édifiés à grand’peine. Ils n’ont pas l’air de se douter seulement, ces héros de la plume légère, du sourire qu’ils font naître sur les lèvres des lecteurs sérieux. Ils continuent intrépidement leur œuvre, sans qu’un ami charitable daigne les avertir qu’ils estropient à chaque trait les mots qu’ils écrivent ou les idées qu’ils touchent. Singulière entreprise, qui ne s’était jamais affichée aussi naïvement qu’aujourd’hui, d’écrire sans études et de parler sans pensée! La première règle de bon sens ou de prudence autrefois était de ne parler que si l’on avait quelque chose à dire. C’en était une encore d’étudier les choses sur lesquelles on voulait écrire; on a changé tout cela. L’heure presse et l’imprimeur attend, et puis qui s’en apercevra? Il faut bien mépriser le public pour que l’ignorance infatuée s’étale avec cette effronterie, comme si elle était assurée de l’impunité.

On nous reprochera peut-être comme une servitude le culte des supériorités intellectuelles. On aurait tort. Il ne faut pas confondre le respect délicat et viril des grands talens et la docilité servile qui s’enchaîne à leur pensée. Ce que je voudrais voir rétablir, c’est uniquement le respect, qui n’est pas la docilité des idées, et qui est parfaitement compatible avec la plus entière indépendance. Des adversaires habiles mêlent à dessein ces deux choses, espérant que le discrédit de l’une entraînera la ruine de l’autre. Ils ne se sont pas trompés dans leur espérance, et ce que nous avons vu dans ces derniers temps donne pleinement raison à leur calcul. Et cependant quel esprit sensé ne voit, en y réfléchissant un peu, combien ces deux choses diffèrent? Ne peut-on, même sans appartenir à l’école d’un philosophe célèbre, honorer en lui la grandeur des inspirations, ces mouvemens vifs de pensée, l’abondance et l’éclat des images qui venaient éclore sur ses lèvres, cette éloquence qui se soulevait de terre d’un mouvement si naturel et comme sur des ailes invisibles, cette flamme intérieure qui de l’âme de ce philosophe débordait dans ses yeux, dans son langage, dans ses gestes, et de là dans l’âme de ceux qui l’écoutaient? Niez l’école, j’y consens. Aussi bien n’y a-t-il jamais eu d’école proprement dite au-