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critique philosophique s’avançait d’un pas plus hardi au sein de ces régions inexplorées où elle avait sans doute à recueillir de précieux témoignages sur l’homme et sur ses origines, plus près des sources sacrées de l’histoire, là où la science place le berceau de l’humanité.

L’enthousiasme pour les idées rejaillissait sur les hommes eux-mêmes qui s’en faisaient parmi nous les interprètes, s’ils n’en étaient pas toujours les inventeurs. De beaux talens qui se révélaient alors grandirent merveilleusement par la faveur de l’opinion. Que de livres heureux naquirent sous l’inspiration commune des écrivains et du public ! Que de leçons mémorables par la hardiesse des aspirations et par la nouveauté relative des aperçus se développaient, aux applaudissemens de la jeunesse, sous ces vieilles voûtes de la Sorbonne, où l’on pouvait dire qu’à certaines heures palpitait le cœur de la France! Que d’espérances confuses dans cet auditoire frémissant sous la parole du maître, que d’élans précipités vers l’avenir! Combien de nobles idées et aussi de rêves généreux sortaient comme en brillans essaims des ombres émues de ce vieil édifice et de là se répandaient sur les générations nouvelles ! Chaque siècle a sa jeunesse et comme son printemps. C’était vraiment alors la jeunesse du XIXe siècle. Jours fortunés, ivresses sublimes, travail magnanime des idées, longs espoirs presque réalisés d’avance et comme animés par des volontés enthousiastes, tout cela n’a pas été stérile. Il est resté de ces tentatives hardies, de ces rencontres de grands esprits avec un public admirablement préparé par ses instincts plus que par ses études, comme un sillon électrique et une trace profonde de lumière dans le siècle. Les intelligences qui se sont formées en ces jours déjà lointains en ont ressenti le contre-coup; elles en ont gardé le signe inaltérable et sacré.

Les temps sont bien changés. On peut le dire sans être taxé de pessimisme : l’esprit n’a plus aujourd’hui toute sa valeur, comme il y a quarante ans. Il a payé cher les enivremens de sa souveraineté passagère. S’il a commis quelques fautes par excès de confiance et d’orgueil, s’il s’est exposé parfois au ridicule qu’entraîne l’infatuation, ces fautes et ces ridicules, il les a cruellement expiés. Le culte des supériorités intellectuelles a baissé parmi nous dans la même proportion que le culte des idées. Où est-elle cette curiosité ardente et neuve des anciens jours, si empressée autour des talens qui semblaient promettre quelque chose de nouveau? A sa place, je ne trouve qu’un scepticisme léger qui se défend par l’ironie préventive contre toutes les surprises de la pensée, et qui ne craint rien tant que de paraître dupe. Ce qui est simple et délicat semble maintenant trop simple et presque fade. Une nuance d’idée n’inté-