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peindre ici même[1] ce mouvement prodigieux que peut-être le siècle ne reverra pas. Il y eut là une époque unique pour la libre et féconde variété des talens, pour toutes les nobles curiosités en même temps éveillées et toutes les émotions du beau en même temps ressenties, pour l’activité presque héroïque de l’esprit, qui se précipitait dans tous les sens à la conquête de l’inconnu, et aussi pour l’ardeur sérieuse et la candeur du public, enthousiaste alors jusqu’aux illusions. Les témoins de cet âge déjà presque légendaire n’en parlent qu’avec émotion.

Tout était alors propice à la manifestation et au développement des intelligences supérieures, tout aidait au prestige et favorisait l’établissement de ces souverainetés éclatantes de la pensée. Ni la raison ni l’imagination du public n’étaient désenchantées. Au sortir de la révolution et de l’empire, après ces jours profondément troublés où la France avait été presque uniquement occupée d’abord des orages de sa liberté, puis des soucis de sa gloire, il y avait eu partout un retour vif vers l’esprit, vers ses manifestations diverses dans la philosophie, dans les lettres, dans l’art. Les idées avaient je ne sais quel éclat de nouveauté et quelle enivrante fraîcheur qui ravissaient la curiosité du public. On put croire un instant qu’on allait assister à la naissance d’un grand siècle. Ce fut comme un renouvellement universel, une instauratio magna de l’esprit humain. Ce fut au moins une immense espérance de ces grandes choses. Tandis que la philosophie nouvelle combattait victorieusement les derniers représentans du sensualisme expirant, ou que, remontant jusqu’aux ancêtres des doctrines rivales, elle détruisait les derniers restes de l’empire de Locke et de Condillac, tandis que la poésie lyrique idéalisait dans des chants admirables les sentimens troublés de l’âme, ses vagues passions, ses tristesses ou ses aspirations, l’histoire se transformait, elle devenait à la fois plus savante par la précision des détails et plus philosophique par l’intelligence des civilisations diverses et par l’étude comparée des races. Des perspectives agrandies s’ouvraient de toutes parts. La critique, de plus en plus pénétrante, éclairée, conquérait chaque jour de vastes régions dans le moyen âge et l’antiquité; on eût dit qu’on les découvrait pour la première fois. Les savantes recherches sur les langues, les civilisations, les philosophies religieuses de l’Orient, ouvraient la voie vers des horizons qu’on n’avait pas encore soupçonnés. Des mondes tout nouveaux se découvraient de toutes parts à la philologie et à l’ethnologie comparées, devant la science allemande et devant la science française, devenue sur certains points sa rivale. A la suite de ces conquêtes de l’érudition, la

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1865, à propos de M. Jouffroy.