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trouvons en général trop peu sensible à ses mérites et à ses grandeurs, comme il peut arriver à un historien que la nature même de son œuvre sollicite sans cesse à se faire plutôt l’accusateur que l’avocat de l’antiquité; mais sa critique clairvoyante, bien que dure parfois, est de celles avec lesquelles il faut compter. L’auteur reprend toute son autorité dans les peintures chrétiennes, où il tient plus qu’ailleurs à l’exacte vérité et où d’ailleurs son talent s’épanouit avec cette grâce particulière que donne à tout écrivain l’amour de son sujet. Il y a dans cette histoire si compliquée un grand art, l’art difficile de grouper autour des faits principaux mille épisodes, de mêler d’importantes réflexions au récit, d’amener chaque chose à propos, d’errer en détours nécessaires sans brouiller sa voie, et de conduire le lecteur d’Orient en Occident, de ville en ville, partout où l’appellent les événemens, sans l’égarer dans le dédale et de manière à lui laisser voir toujours le point d’où il est parti et qu’il doit retrouver plus tard. On ne peut pas manquer non plus de confiance dans un historien chrétien qui soumet à sa critique indépendante les plus saints personnages, les légendes les plus accréditées, et qui, tout en se laissant toucher comme il convient par la naïveté passionnée de ces récits populaires, sait y faire la part des illusions et des hyperboles. Un style ferme et grave avec des couleurs sobres qui prennent souvent de l’éclat sans dissonance, une éloquence contenue, une mesure toujours attentive à ne rien risquer, enfin les scrupules les plus délicats du goût et de la conscience, qui nulle part ne sont plus à leur place que dans une pareille histoire, témoignent du profond respect que l’auteur a pour ses héros et le font partager à son lecteur. Le rare talent de l’écrivain ne va pas au-devant de vous, il ne cherche pas à se montrer; mais il vous gagne, vous retient et vous enchaîne aux choses qu’il dépeint. Enfin, s’il faut marquer nos préférences, nous mettons hors de pair les pages qui résument le livre et lui servent de conclusion, vaste tableau des destinées du christianisme retracées avec la plus lumineuse simplicité par un esprit qui voit de haut l’histoire, qui sait la juger en politique et en moraliste, pages émues où la foi demande ses preuves à la raison, et qui forment le plus court, le plus substantiel et le plus brillant ensemble d’apologétique chrétienne que nous ayons rencontré depuis le XVIIe siècle.


C. MARTHA.