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visiblement d’un parti, on ne fait plus qu’un plaidoyer dont le moindre défaut est d’être monotone et prévu ; si on est trop indifférent dans ce conflit des opinions armées, on risque d’éteindre toutes les couleurs du sujet. Quelle surveillance ne doit-il pas exercer sur lui-même, celui qui raconte une époque où il ne s’agit pas, comme c’est l’ordinaire, des intérêts variables et fugitifs de l’ambition politique, mais où sont soulevés les éternels problèmes de l’âme et de la conscience, dont personne ne peut entièrement se déprendre, où chacun engage sa foi religieuse ou philosophique !

M. Albert de Broglie a osé entreprendre cette longue et difficile histoire avec la confiance de la jeunesse et la précoce maturité d’un esprit grave, de bonne heure initié par de beaux exemples de famille aux plus hautes questions de la politique, de la morale et de la religion. Sa forte éducation littéraire lui permettait de manier sans trop d’efforts les documens latins et grecs qu’il avait à consulter. La part qu’il a prise tout d’abord aux discussions religieuses de notre temps permet de penser qu’il a choisi son sujet non point par un profane désir de montrer son talent, mais pour s’instruire lui-même, pour s’affermir dans les principes qui lui sont chers, et pour asseoir sa foi sur un solide fondement historique. On n’a pas à craindre qu’il apporte dans cette longue étude un zèle trop tiède et les indifférences d’une simple curiosité. On pourrait s’attendre plutôt à des idées préconçues, à des préférences trop marquées, si l’on ne savait que son esprit, fidèle à des traditions de famille, est accoutumé à respecter toutes les libertés de la pensée, même chez ses adversaires. Malgré ses ardeurs et ses prédilections évidentes, le petit-fils de Mme de Staël ne peut manquer d’être libéral et de comprendre même ce qui contrarie ses convictions personnelles. Aussi trouvons-nous dans son livre, à côté d’une passion contenue qui pourtant se fait jour, les scrupules d’une raison éclairée, une circonspection presque constante, une grande vigilance sur soi-même et une impartialité, il est vrai, plus voulue que naturelle, mais qui donne du crédit à son vaste et bel ouvrage.

Au moment de juger cette grande œuvre historique, comment pourrons-nous donner quelque clarté à nos adhésions et à nos dissentimens, à nos louanges ou à nos critiques, si nous nous dispersons dans les détails infinis d’une histoire compliquée, si nous réduisons en poussière notre jugement moral et littéraire ? Pour ne pas errer dans un sujet sans limites, nous allons nous renfermer dans le règne de Julien, règne court et clair, qui nous offre comme dans une réduction l’image de la société, la lutte des idées, l’état des âmes. Il nous semble d’ailleurs que l’auteur n’a pas rendu une exacte justice au jeune empereur qui eut le tort sans doute, en vou-