Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les arts, les lettres et dans la politique, est demeurée, malgré sa chute, la grande institutrice du genre humain.

Que cette lutte est confuse et qu’il faut d’attention pour en démêler les fuyantes péripéties! Il ne s’agit pas ici du clair combat de deux religions ennemies qui se rencontrent dans un seul choc, et dont les combattans peuvent de chaque côté se reconnaître à des signes certains. L’église a ses hérésies, ses schismes, ses guerres civiles; elle est ensanglantée, non-seulement par le sang qu’elle verse de son sein, mais par celui qu’elle répand de ses mains; le paganisme, sans éprouver les mêmes déchiremens, puisqu’il n’a point de dogmes, présente cependant des nuances infinies, depuis l’idolâtrie la plus grossière jusqu’à la philosophie la plus subtile. La société chrétienne conserve sans le vouloir des habitudes antiques, le monde païen aspire à se donner des mérites nouveaux. Des deux côtés le langage est parfois incertain et flottant. Bien plus, ce qui ajoute à la confusion, les deux religions sont en lutte non-seulement dans la société, mais souvent dans la même âme. On ne peut dire où commence l’une, où finit l’autre. Tel se croit chrétien et n’est que déiste, tel autre se croit dévot païen et n’est que philosophe. Les uns n’ont pas toujours les vertus de leur religion, les autres ont quelquefois celles que leur religion ne commande pas, mais tous ou presque tous demeurent plus ou moins engagés dans de vieilles habitudes où les retiennent les mœurs générales, les lois, le langage. On est tenté d’appliquer à cette société tout entière comme aux individus cette belle image de Milton montrant au jour de la création le lion naissant élevant déjà au-dessus de la terre sa face auguste, tandis que ses membres s’agitent encore en formes indécises dans le limon.

Ce n’est pas sans de rares qualités littéraires qu’on peut porter la lumière dans cette histoire, sur laquelle d’ailleurs nous n’avons que des documens épars, passionnés, souvent contradictoires, et qui, pour n’avoir pas été racontée par des Tite-Live ou des Tacite, impose à l’historien moderne la nécessité de mettre lui-même de l’ordre dans les faits, de les disposer avec clarté, de deviner les sentimens dénaturés des personnages, de chercher la vérité dans les légendes. Sans insister sur les difficultés que présente une histoire où l’on n’a pas d’habiles écrivains pour guides, il faut encore une grande fermeté d’esprit pour ne pas prendre trop vivement parti dans une lutte où il n’est pas donné à tout le monde de se montrer désintéressé, il faut une pénétration peu commune pour distinguer le vrai mobile des actions, une impartialité volontaire pour ne pas trop céder à des prédilections de doctrine, enfin des trésors d’indulgence pour n’être que juste. Si. on se range trop