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sont les mêmes débats, avec cette différence qu’ils ne font plus verser des flots de sang. La révolution française peut seule être comparée, par l’immensité probable de ses conséquences, à cette révolution antique qui a changé la face du monde, et dont nous ressentons encore les lointains effets. On pourrait ajouter même que nos plus vives agitations morales tiennent précisément à ce que les deux plus grandes révolutions qui aient transformé les sociétés, celle du IVe siècle et celle du XVIIIe, se contrarient souvent et se combattent. Le long et paisible cours de l’idée chrétienne est venu se heurter au courant nouveau, et cette rencontre produit des tourbillons dans lesquels la raison moderne tournoie, et dont elle ne pourra peut-être se dégager que si les deux fleuves se pénètrent, se confondent, pour promener sur une pente commune leur double fécondité. C’est dire assez quel intérêt religieux, politique et moral peut offrir l’histoire du IVe siècle à tout esprit capable de graves méditations.

Cette histoire frappe encore par l’originalité si forte et si diverse des caractères qui occupent la scène, car, bien qu’il s’agisse d’une époque de décadence, d’épuisement et de rénovation, d’une de ces époques où d’ordinaire les individus disparaissent devant la grandeur de l’œuvre collective, on rencontre partout dans cet âge mémorable des hommes qui ont déployé toutes les vertus ou le génie de leur rôle : des politiques tels que Constantin, Julien, Théodose, des défenseurs de la foi qui ont montré toutes les sortes de courage, celui de dire la vérité et celui de braver les supplices, — un saint Athanase, auquel on ne peut comparer aucun homme pour la persévérance infatigable, l’invincible opiniâtreté, la lucidité de la foi, et qui, sans jamais hésiter ni fléchir, a porté dans les cours aussi bien que dans les déserts son orthodoxie intraitable et militante; un Grégoire de Na4anze, un Basile, un Jean Chrysostome, sachant prêter au christianisme triomphant toutes les parures et les grâces innocentes de l’éloquence antique; puis des philosophes, des rhéteurs tels que Libanius, Thémiste, Himère, plus célèbres, il est vrai, par l’enthousiasme qu’ils ont excité que par la beauté de leurs ouvrages, mais qui n’étaient point indignes de prêter leur voix à la vieille civilisation expirante, et par la bouche desquels s’exhalait en sons harmonieux encore le dernier souffle de l’antiquité païenne.

Où trouver dans l’histoire une plus grande lutte que celle qui a pour théâtre tout le monde connu, et dont le prix est la conquête des âmes? De plus, quelle que soit votre opinion, vous ne pouvez point ne pas vous intéresser à la fois au vainqueur et au vaincu; car si l’un apporte une foi meilleure et des idées plus pures, on n’oublie pas que l’autre est l’héritier d’une civilisation sans pareille, qui,