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gogne, il m’a été commandé de le lire moi-même, puis de vous le remettre, s’il vous plaît de m’accorder licence de le faire, et, après l’avoir remis, de remplir le reste de ma charge. » À ces mots, le roi se leva de son siège et s’écria avec courroux : — « Comment! ton maître veut établir de nouvelles coutumes dans mon royaume! Je n’entends pas qu’il use envers moi de ces hypocrites détours. — Sire, je suis certain, répondit le héraut, que l’empereur fera toujours ce qu’un prince vertueux doit faire pour son honneur. — Je le tiens pour si vertueux prince, ajouta le roi en revenant sur les paroles auxquelles il s’était laissé emporter, que je crois qu’il fera ainsi. » Mais il dit en même temps et avec vivacité au maréchal de Montmorency, grand-maître de sa maison, qui le priait sans doute tout bas de laisser parler le roi d’armes : — « Non, non, je ne le lui permettrai pas, à moins que je ne tienne l’assurance du camp, sans laquelle tu peux, reprit-il en s’adressant au héraut Bourgogne, t’en retourner comme tu es venu, et n’ajoute rien. — Sire, repartit le héraut, je ne saurois faire mon office et vous donner le cartel de l’empereur sans votre autorisation, que je vous demande de nouveau, et si vous ne voulez pas me la donner qu’il vous plaise de me certifier par écrit que vous me la refusez, en me gardant votre sauf-conduit pour m’en retourner. » Le roi, impatienté de cette imperturbable ténacité, se leva de son siège et dit brusquement : — « J’entends qu’il lui soit donné[1]. »

Ainsi finit cette étrange scène. Le héraut d’armes partit après avoir vainement demandé, par l’entremise du grand-maître de France, une nouvelle audience qui ne lui fut pas accordée. Il partit en protestant qu’il ferait son rapport à l’empereur, et en annonçant que sa majesté impériale publierait partout que son cartel en réponse au cartel du roi contenait la sûreté du camp et qu’il n’y avait pas de sa faute s’il n’avait pas été reçu. En effet Charles-Quint, au retour du roi d’armes, prit connaissance de sa relation, qu’il communiqua au conseil de Castille avec toutes les pièces de cette querelle singulière entre les deux souverains. Ce suprême tribunal de la monarchie espagnole décida que, selon la raison naturelle, le droit des gens, les antiques lois concernant les faits de guerre et de duel, l’empereur avait répondu au défi adressé par le roi de France, satisfait à l’honneur de son impériale et royale personne et aux obligations d’un cavallero, tandis que le roi de France n’avait pas accompli ce qu’il devait comme gentilhomme en ne voulant pas entendre le héraut d’armes, et en ne lui permettant point de remplir sa charge, d’où il ressortait clairement qu’il avait refusé

  1. Relation faite à l’empereur par le héraut d’armes Bourgogne, p. 888.