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traire aux bonnes coutumes observées jusque-là entre les princes, il en vint à ce qui était le grand objet de cette solennelle réunion.

« L’empereur, dit-il, s’est montré surpris que je l’aie défié et a prétendu que je ne pouvois ni ne devois le faire, étant son prisonnier de juste guerre et ayant ma foi. Sans doute, si j’étois son prisonnier et qu’il eût ma foi, ce seroit vrai; mais je ne sache point que l’empereur ait jamais eu ma foi. D’abord, en quelque guerre que j’aie été, je ne l’ai jamais vu ni rencontré. Quand j’ai été prisonnier, gardé malade dans le lit par quatre ou cinq arquebusiers, et à la mort, il n’eût pas été malaisé de m’y contraindre, mais peu honorable à celui qui l’eût fait. Depuis que j’ai été de retour en France, je ne connois personne qui ait eu le pouvoir de me la faire bailler. De ma libre volonté c’est une chose que j’estime trop pour m’y obliger si légèrement. Encore que je sache bien, et aucun homme de guerre ne l’ignore, qu’un prisonnier gardé n’a nulle foi à donner et ne se peut obliger à rien, comme je ne veux pas que mon honneur demeure en dispute, j’envoie à votre maître cet écrit signé de ma main, que je vous prie de lire, monsieur l’ambassadeur, et me promettre de bailler[1]. »

Cet écrit, dans lequel François Ier soutenait que les prisonniers gardés n’étaient pas tenus de remplir les obligations à eux imposées durant la captivité, renfermait, avec sa propre et subtile justification, les déclarations les plus blessantes contre l’empereur. Granvelle, alléguant que sa mission était terminée et qu’il n’avait plus qu’à prendre congé, s’excusa de le lire et refusa de le porter. François Ier commanda alors à Jean Robertet, l’un de ses secrétaires d’état, de donner lecture de ce cartel violent où, après avoir dit que l’empereur, pour s’excuser lui-même de ne pas faire la paix, l’avait accusé de manquer à une promesse qu’il n’était pas obligé de tenir et faussé sa foi qu’il ne pouvait pas donner, il ajoutait : « Si vous nous avez voulu charger d’avoir fait chose qu’un gentilhomme aimant son honneur ne doit faire, nous disons que vous avez menti par la gorge et autant de fois que le direz vous mentirez, étant délibéré de défendre notre honneur jusqu’au bout de notre vie. Par quoi... assurez-nous le camp et nous vous porterons les armes, protestant que si après cette déclaration vous écrivez ou dites paroles qui soient contre notre honneur, la honte du délai du combat en sera vôtre, vu que venant au dit combat, c’est la fin de toutes les écritures. »

François Ier, en appelant son adversaire en champ clos, entendait soutenir contre lui les armes à la main qu’il avait raison, sans lui permettre de dire désormais un seul mot pour prouver qu’il avait

  1. Papiers d’état du cardinal de Granvelle, t. Ier, p. 352 et 353.