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complet, il pourvut à bien des lacunes, et les réformes qu’il avait conçues furent rudement exécutées. Au milieu des échecs, des revers, des trahisons, il avait poursuivi son œuvre, essayant, brisant les généraux, les administrateurs, jusqu’à ce qu’il eût trouvé les instrumens qui lui convenaient. Il marque son passage par la suppression de la charge de connétable, rouage inutile qui gênait l’omnipotence du premier ministre, par la création des intendans de justice et de finances qui devaient représenter dans les armées l’ordre et la légalité, par de bonnes ordonnances sur la solde, la durée du service, par de sévères mesures contre les passe-volans (on a dit depuis les hommes de paille), les déserteurs, les voleurs, etc.; puis le désordre, qu’il n’avait pas entièrement étouffé, reparaît. La victoire nous resta fidèle pendant la régence si agitée d’Anne d’Autriche, car Mazarin comprenait la guerre aussi bien que la politique; mais son autorité était trop contestée pour qu’il pût bien administrer. Il n’avait pas les mains très nettes; il avait besoin des généraux et les redoutait; il les flattait et ne les voulait pas trop forts; il lui convenait de leur passer beaucoup, et un peu de confusion ne lui déplaisait pas; en somme, Mazarin ne régla rien, ne fonda rien, et sous son gouvernement les institutions militaires de Richelieu tombèrent en désuétude.

Vers 1660, les gardes du roi, les escadrons de gendarmerie, quelques régimens d’infanterie qu’on appelait les vieux composaient les seules troupes permanentes. Les autres corps d’infanterie et de cavalerie étaient créés au commencement de chaque guerre et donnés à l’entreprise comme des espèces de concessions. Formés pour un objet spécial, destinés à servir sur certaines frontières, souvent inféodés à tel prince ou à tel général, ces régimens restaient agglomérés en armée jusqu’à ce que la fin des hostilités ou une nécessité d’économie les fît débander. Les déplacer était une grosse affaire. Lorsqu’on 1643 le duc d’Enghien parvint à conduire l’armée de Flandre en Allemagne, on lui en sut presque autant de gré que de la victoire de Rocroy ou de la prise de Thionville, et en 1647 Turenne dut charger les « Weymariens » qui étaient sous ses ordres depuis nombre d’années, pour les décider à le suivre d’Allemagne en Flandre.

Les chefs de tout rang spéculaient sans vergogne. De même que les colonels et les capitaines, les généraux étaient des entrepreneurs. A mettre sur pied un régiment, à entretenir une armée avec ce que le roi donnait, beaucoup se ruinaient, d’autres faisaient des bénéfices. Parmi ceux qui gagnaient, les plus délicats ou ceux qu’animait l’amour du bien public employaient leurs profits à bien assurer le service; le plus grand nombre mettait le gain en poche :