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et, tout en dispersant les levées de la confédération germanique, envahir la Bohême avec des troupes supérieures en nombre et en organisation aux légions vaillantes et aguerries que lui opposait l’Autriche, elle doit ce grand résultat aux institutions militaires qu’elle a su maintenir, coordonner, développer pendant la paix.

Les institutions militaires ne donnent pas, ne garantissent pas la victoire; elles donnent le moyen de combattre, de vaincre ou de supporter des revers. Sans elles, tant que durera l’état actuel des sociétés européennes, tant que nous ne verrons pas fleurir cet âge d’or, pax perpetua, qui, selon Leibniz, n’existe qu’au cimetière; sans elles, disons-nous, pas de sécurité ni de véritable indépendance pour les nations. Comment se sont-elles fondées? Par quelles transformations peuvent-elles s’adapter aux temps ou au génie des peuples? D’où vient qu’elles se fortifient ou s’affaiblissent, qu’elles s’épurent ou se corrompent? Comment peuvent-elles devenir un fardeau insupportable, un instrument de tyrannie, ou s’implanter dans les mœurs, s’associer aux libertés publiques et former la base de la puissance nationale? Nous essaierons de l’étudier dans l’histoire de notre pays.


I.

C’est Louvois qui a fondé notre état militaire. Avant lui, sans doute, la France avait des armées, vaillantes, nationales, souvent bien commandées et maintes fois victorieuses ; mais on peut dire que l’armée française n’existait pas. Depuis plus de deux cents ans, la vieille organisation féodale avait disparu sans avoir été remplacée d’une façon définitive. Charles VII avait créé la gendarmerie et les francs-archers; mais le remarquable édifice d’ordonnances élevé par les Valois pour compléter cette création s’écroula bientôt dans les guerres de religion. Le génie inventif et réparateur de Henri IV avait exercé sur l’établissement militaire de la France la même influence salutaire que sur les autres services publics; la mort le frappa avant qu’il n’eût mis la dernière main à son œuvre : armée et règlemens disparurent avec lui. Au mois de mai 1610, il avait réuni en Champagne 60,000 fantassins formés en régimens compactes de 4,000 hommes; son artillerie était la plus nombreuse, la plus mobile qu’on eût encore vue, sa cavalerie instruite et bien montée; les places, les frontières, étaient pourvues. Avant la fin de l’année, il ne restait plus que des squelettes de régimens, des bandes de pillards et des arsenaux vides; comme la neige au soleil, tout avait fondu sous l’action dissolvante des intrigues et des rivalités de cour. Puis était venu Richelieu; sans rien faire de