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tolérance. L’auteur s’est sagement arrêté à la première, grande époque d’ailleurs, où il trouvait représentés dans une catastrophe héroïque l’antagonisme éternel de l’Orient et de la Judée, la mission du prophétisme et, ce qui n’était pas moins important pour le drame, l’imposante supériorité d’un caractère réellement tragique, celui de Jérémie. Il y trouvait encore l’occasion de peindre cette précoce démocratie dont les prophètes sont dans la société hébraïque les véritables organes. Dans les monarchies, orientales, le peuple n’existe pas ou n’apparaît que comme une foule avilie ; en Judée au contraire, il est tout, et les prophètes sont toujours là pour parler en son nom. Nul événement peut-être ne donne une plus grande idée de cette importance que ce dernier soulèvement, où Jérémie, longtemps opposé à des tentatives imprudentes ou prématurées, et qui voit ses conseils repoussés, signale du moins au roi, lorsque le dessein en est pris, les seules conditions du succès : affranchissement des esclaves, libération des propriétés, proclamation d’un jubilé et formation d’un nouveau pacte avec Jéhovah. C’est tout simplement ce qu’on appellerait aujourd’hui des procédés révolutionnaires et des mesures de salut public.

Je ne puis songer à entrer dans l’analyse de ce vaste drame, compliqué de nombreux épisodes et de péripéties variées. Il présente dans ses divers actes, désignés chacun par un titre particulier, le tableau multiple et vivant de l’état politique de la Judée à la veille de la grande catastrophe du VIe siècle. C’est celui d’un peuple vaincu par des divisions autant que par la puissance de ses ennemis, toujours subjugué et toujours insoumis, en proie aux querelles de ses prêtres et à l’instabilité de ses propres pensées, tantôt inerte et tantôt frémissant sous la main de ses rois, qui sont quelquefois ennemis, plus souvent complices de l’oppresseur. Nous voyons d’abord dans la grotte de Rama le collège des prophètes, et parmi eux Jérémie, réunis une dernière fois avant de se répandre parmi les diverses populations de la Judée, où ils vont raffermir, avec une fidélité trop souvent chancelante aux lois de Jehovah, l’amour de la patrie et de l’indépendance. Nous assistons ensuite, dans Jérusalem et dans l’enceinte même du palais du roi, aux rivalités des prêtres de Moloch et des prêtres de Jéhovah, qui se disputent la volonté du faible Sédécias et trahissent dans des conseils contraires l’esprit opposé qui les anime ; les uns lui lisent dans les astres une facile victoire, le flattent d’illusions adulatrices, tandis que les autres, comme seul moyen de salut, lui montrent la justice rendue aux faibles et un appel sincère aux meilleurs sentimens du peuple de Dieu ; entre ces deux partis, nous voyons un peuple hésitant et mobile, tantôt se plaignant avec amertume de Jérémie, de son grand prophète absent, tantôt prêt à le lapider, puis revenant à lui pour l’abandonner encore sur quelque folle accusation de trahison. Voici maintenant les prophètes qui reviennent de leur mission ; ils peignent les peuples de la Judée tels qu’ils les ont vus, livrés à leurs dissensions et à leurs égoïsmes, et cependant l’ennemi avance : Sédécias, effrayé de son impuissance, incapable de maintenir la paix dans Jérusalem ou de relever un peuple abattu, a recours à Jérémie, qui lui renouvelle ses conseils toujours en vain. Aussi les présages funestes se multiplient autour du temple ; les nuages s’amoncellent, toutes les misères d’une population en détresse, la