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LE PROPHÈTE OU LA PASSION D’UN PEUPLE (IL PROFETA O LA PASSIONE DI UN POPOLO)
par M. David Lévi, ex-député au parlement italien ; Turin 1866.


Au moment où l’Italie achève de se débarrasser de l’étranger, ce qu’on devrait attendre de ses poètes, si elle en avait, c’est l’ivresse d’une nationalité fraîchement ressuscitée. Aussi l’œuvre dont on vient de lire le titre, et qui respire la mélancolie plutôt que l’allégresse, porte-t-elle le caractère d’une inspiration rétrospective. Sous la figure du prophète Jérémie et sous les traits du peuple hébreu succombant dans une lutte suprême contre l’oppression étrangère, elle exprime les souffrances patriotiques, les rêves mêlés d’angoisses qui remplissaient en Italie quelques âmes d’élite, alors que la résurrection était encore une vague espérance. Conçu par l’auteur dès sa jeunesse, esquissé en 1848 au milieu des épreuves qui suivirent de trop crédules illusions, lentement élaboré pendant les années d’attente que l’Italie a traversées depuis ce drame, où il est facile d’apercevoir une leçon et un exemple offert à l’Italie, semble aujourd’hui ne plus venir à son heure. Le royaume d’Italie existe ; les luttes de l’affranchissement sont finies ; les difficultés de l’organisation ont commencé ; le temps des conspirateurs et des héros est passé, celui des administrateurs et des financiers est venu. Ce qui a remporté les victoires décisives sur l’étranger, ce n’est pas l’enthousiasme des voyans, la force triomphante d’un peuple soulevé par la voix des prophètes ; ce sont les habiletés de la diplomatie de M. de Cavour, puis des régimens exercés de longue main et convenablement soutenus au moment opportun par ceux de la France et ceux de la Prusse. Pour n’être pas aussi poétique que l’avait imaginé M. David Lévi, cette solution n’en doit pas moins satisfaire, je crois, une partie de ses désirs. Quant à la force morale, à la concorde, au désintéressement, à la foi, à toutes les vertus qu’il recommandait avec tant de raison comme d’irrésistibles auxiliaires, elles n’ont pas tout fait sans doute, mais elles ont fait quelque chose ; et son poème à cet égard conserve, comme on dit, quelque actualité ; car ces vertus sont toujours de mise, pour s’affermir et pour se gouverner aussi bien que pour s’affranchir.

Au reste, si l’Italie n’est plus la nation opprimée et gémissante à laquelle M. David Lévi pouvait s’adresser il y a quinze ou vingt ans, son drame n’a pas perdu pour cela toute application au temps présent. C’est ce que l’auteur cherche à établir dans une longue et savante introduction, où il rappelle qu’il existe encore des peuples asservis dans plus d’un coin du monde, et, que l’oppression intellectuelle, non moins accablante que l’oppression politique, pèse encore presque partout sur la terre d’un poids bien lourd. Le despotisme des antiques monarchies orientales est encore aujourd’hui représenté, du moins aux yeux de l’auteur, par le gouvernement russe. Peu s’en faut que notre auteur ne cherche dans l’origine, dans le caractère, dans l’histoire de la nation russe et jusque dans le titre que prennent ses chefs la trace d’une parenté qui les rattacherait directement à ceux qui ont tant de fois subjugué le peuple hébreu : Nabucco-tzaf,