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sous le même sceptre et sous les mêmes lois, qui, depuis que l’expédition anglo-française l’a ouvert aux étrangers, a vu son commerce extérieur atteindre le chiffre de 1,300 millions, dont l’Angleterre, la Russie, les États-Unis étudient soigneusement les ressources, est encore bien mal connu en France. L’ouvrage publié récemment par M. le marquis de Courcy offre donc un caractère réel d’utilité. Après un long séjour en Chine, où il exerça d’importantes fonctions diplomatiques, M. de Courcy a résumé dans un livre substantiel et méthodique, écrit dans un style net et concis, les connaissances qu’une étude attentive l’avait mis à même de recueillir. Il s’est proposé surtout de montrer comment, en appliquant les traités de 1860, si favorables aux étrangers, on peut éviter de froisser les sentimens ou les institutions du peuple chinois.

La situation a bien changé en effet depuis l’expédition de 1860. Les ambassadeurs des puissances étrangères résident à Pékin ; les concessions françaises, anglaises, américaines, forment le long des côtes de véritables cités européennes entièrement soustraites à l’action des autorités chinoises. Des fonctionnaires étrangers introduisent dans les douanes maritimes les erremens de l’administration moderne ; nos officiers initient l’armée chinoise à la tactique européenne, et tandis que le négociant, le voyageur, sont libres de circuler par tout l’empire, le missionnaire chrétien, proscrit autrefois, enseigne aujourd’hui sa religion sans s’exposer à aucune rigueur légale, et élève ses églises dans la capitale même, à côté des temples de Bouddha.

Après avoir exposé les divisions politiques et administratives de l’empire et indiqué les ressources de tout genre que le commerce trouve à exploiter en Chine, l’auteur s’attache à expliquer l’organisation de cette société si différente de la nôtre. Le trait saillant et qui se révèle au premier regard dans l’uniformité des mœurs, des usages, des édifices même, c’est le respect de la tradition, l’abus de la réglementation, le défaut d’invention, suite d’une centralisation exagérée. En effet, gouvernement, éducation, religion, tout ce qui concourt à façonner les instincts et l’esprit d’un peuple est combiné de façon à assurer l’immobilité des institutions, à empêcher tout changement dans l’ordre moral comme dans l’ordre matériel. Malgré les conquêtes et les révolutions, les lois et les mœurs se sont à peine modifiées depuis vingt siècles. L’empereur, quelque absolu qu’il soit, aurait peut-être peine à faire accepter brusquement les nouveautés les plus utiles. L’auteur le peint tout-puissant, centralisant en lui tous les pouvoirs, nommant à toutes les fonctions, pouvant d’un mot rejeter dans le néant ceux qu’il en a tirés pour les élever le plus haut. La nation entière, qu’il n’a jamais à consulter, reste courbée devant lui sous une égale obéissance. Nulle caste, nulle aristocratie privilégiée ne se dresse, comme dans les vieilles races germaniques, pour mettre obstacle à ses volontés souveraines. L’empire chinois présenterait ainsi le tableau d’une démocratie égalitaire asservie au despotisme le plus complet. Les révoltes, les révolutions même respecteraient le principe d’autorité, protégé par les théories religieuses.