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plus éminens religieux du Mont-Cassin qui m’écrivait il y a peu d’années : « Le moine est un homme neutre. Si un jour la raison et la foi arrivent à se donner le baiser de paix, je crois que ce sera dans la conscience d’un moine. » Celui qui parlait ainsi d’une conciliation toujours recherchée, toujours fuyante, était digne de la réaliser en lui-même.

Ce qui, en dehors des causes historiques dont je parlais, a perdu la communauté bénédictine comme institution douée dévie et d’action est ce qui a perdu tous les ordres. Ils ont laissé s’épuiser l’esprit qui les avait fait naître, et qui, au lieu de continuer à vivifier le corps entier, n’a plus animé que quelques membres. Autrefois l’homme s’absorbait dans la communauté vivante et agissante ; on dirait aujourd’hui que la communauté s’absorbe dans un homme qui par intervalle lui rend un lustre passager. Les ordres religieux, dans leur ensemble, ont eu un malheur : ils n’ont pas marché avec leur temps. Tout ce que la société civile a gagné, ils l’ont perdu. Pendant que la civilisation grandissait et s’étendait, ils sont restés immobiles. Au lieu de se rajeunir, ils se sont matérialisés en quelque sorte dans la routine d’une règle réduite aux pratiques vulgaires. Au lieu de se concentrer pour garder leur force, ils se sont morcelés, pulvérisés en toute sorte d’ordres, sous-ordres et demi-ordres. On peut voir l’énumération de tout ce qu’il y avait dans le royaume de Naples quand la révolution y est arrivée[1] : augustiniens chaussés, augustiniens déchaussés, bénédictins du Mont-Cassin, bénédictins blancs, barnabites, cisterciens, camaldules, franciscains du tiers-ordre, minimes de Saint-François-de-Paule, philippins, sacramentins, observans, passionistes, alcantarins, capucins, etc. De là le déclin inévitable du principe monastique, qui a produit encore des moines, mais a perdu cette fécondité morale qui a fait sa puissance dans la confusion primitive de la civilisation occidentale.

Il y a seulement entre tous ces ordres une différence essentielle. En quittant pour ainsi dire la scène du monde, en cessant de jouer dans les affaires du siècle le rôle militant qui est passé depuis aux jésuites, les bénédictins se sont fait comme une originalité nouvelle par l’étude, par la science, par tous les goûts et les dehors d’un ordre discret, savant et utile. Le Mont-Cassin n’a plus été, il est vrai, cette abbaye puissante dont le chef servait quelquefois d’intermédiaire entre le pape et l’empereur ou les princes napolitains ; il est resté sur ses hauteurs un asile où les documens de l’histoire se sont accumulés depuis des siècles, où des générations d’hommes pieux et simples ont vécu dans le recueillement et le travail, où se

  1. Voir un intéressant rapport de M. Nigra, alors ministre de la lieutenance royale à Naples, sur la situation morale et matérielle des provinces méridionales.