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cas, la raison d’état commandait de favoriser la transmission rapide et la division de la propriété dans un pays où une partie de la propriété avait une origine si fâcheuse. On ne l’a pas fait. Sauf la loi de sir Robert Peel sur les encumbered estates, qui ne peut avoir qu’un effet temporaire et partiel, on a laissé toutes les entraves qui empêchent les ventes et l’exécution des baux. On n’a pas même, pour la constatation du titre de propriété, établi une prescription, de telle sorte qu’à chaque emprunt hypothécaire il faut remonter aux confiscations de Guillaume ou aux spoliations de Cromwell et raviver la plaie toujours saignante. — On se trompe lorsque l’on croit que le gouvernement anglais est un pouvoir actif et prévoyant. Nullement ; dans les affaires intérieures (et c’est de celles-là que nous nous occupons), il est maladroit, routinier, sans vigilance ; tout irait à vau-l’eau, si la force sociale ne venait en aide, et si les mœurs ne suppléaient les lois. Des sommes considérables ont été données à l’Irlande pour les améliorations agricoles. Dans ce moment même, lord Naas prépare un projet pour donner aux fermiers, aussi bien qu’aux propriétaires, la faculté d’emprunter à l’état. La mesure est bonne, mais l’effet ne saurait être le même que celui d’une administration permanente de travaux publics payant directement les journaliers et relevant sans contrainte le prix des salaires. — Il est certain que les fenians s’étaient imaginé que la petite armée anglaise d’Irlande ne pourrait pas leur résister. Pourquoi ne leur avoir pas montré plus de troupes ? Pourquoi n’avoir pas envoyé des régimens de milice anglaise tenir un ou deux ans garnison en Irlande ? S’il y avait plus que le nécessaire pour vaincre les fenians, les fenians, de leur côté, n’ont-ils pas fait fuir les capitaux ? — Aucun pays n’est plus monarchique et surtout plus royaliste que l’Irlande. Un homme du peuple qui veut exprimer le comble de la douleur dit : « Cela m’a fait autant de peine que si la reine était morte. » Lorsque la reine débarquait à Kingstown il y a quelques années, le bruit s’étant répandu parmi la foule qu’elle allait bientôt donner le jour à un prince, ce cri passionné sortit de toutes les bouches : « appelez-le Patrick ! call him Patrick ! call him Patrick ! » L’effet que produirait en Irlande la présence d’une royauté véritable serait immense, puisque la cour du vice-roi, avec ses levers et son cérémonial de seconde main, y est populaire. — Mais l’Irlande ennuie l’Angleterre. Les Anglais ne savent pas ce que veulent les Irlandais et ne comprennent pas ce qu’ils disent. Ils les raillent dans leurs journaux, dans leurs romans, dans leurs pièces de théâtre, dans leurs caricatures. Ils s’amusent d’eux et ne s’en inquiètent pas.

Un peuple, quelle que soit sa gaîté d’esprit naturelle, ne saurait