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d’une des trois nations qui peuplèrent primitivement l’Irlande. Il n’est pas de peuple moins soucieux de bien-être que le peuple irlandais, il n’en est pas de plus prompt à sacrifier les intérêts personnels aux passions générales. On donna tout ce qu’on put, on épuisa les plus petites épargnes, on se priva du nécessaire, et les recettes montèrent à plusieurs millions de dollars. Aujourd’hui l’Amérique n’est qu’à dix jours de traversée des côtes d’Irlande. Entre les deux pays, les communications sont incessantes ; ils se touchent en quelque sorte. Une foule d’Irlandais américains partirent, chargés de répandre de l’argent, de recueillir des engagemens et de préparer la guerre civile. Le succès de la propagande en Irlande fut égal à celui de la souscription en Amérique. Des milliers d’hommes prêtèrent l’un de ces deux sermens : celui d’être prêts à toute heure au combat, ou celui de favoriser de leurs vœux le succès de la république feniane.

Il est assez étrange que des gens qui se proposent de soulever un pays aristocratique, religieux et monarchique aient inscrit sur leur drapeau le partage des terres, la guerre au clergé et le renversement de la monarchie ; il est encore plus étrange que la hardiesse de ces nouveautés ait séduit au lieu d’éloigner. Ne nous étonnons pas cependant outre mesure ; sachons tenir compte de l’influence d’un élément nouveau dans les affaires d’Irlande : les Irlandais américains. L’égalité sociale des États-Unis grossièrement interprétée a conduit à l’idée du partage des terres en Irlande. Le pauvre y a des notions si confuses sur la propriété que l’idée du partage ne s’y associe pas nécessairement à la pensée de la spoliation. Dans ses rêves, il voit un chef propriétaire et au-dessous de celui-ci des propriétaires subalternes, en même temps possesseurs de la terre. L’antique usage du clan, qui autorise le propriétaire à vivre successivement à franc quartier chez chacun de ses fermiers, lui paraît une noble pratique, et le paiement d’une rente une odieuse tyrannie. Le communisme moderne s’est glissé inaperçu à travers les réminiscences du clan. D’ailleurs, en matière d’insurrection irlandaise, les idées sont peu de chose, la déclamation est tout. Réveillez les souvenirs nationaux, charmez les illusions nationales, et vous entraînerez. La fraternité feniane n’est peut-être pas au fond l’ennemie du clergé ; elle est la rivale de son pouvoir. Elle dit : « Voilà deux siècles que l’Irlande est conduite par des prêtres, et elle n’a point fait un pas vers la conquête de sa nationalité. Nous, nous avons vécu aux États-Unis, nous y avons connu la liberté, nous y avons appris à faire la guerre, nous venons d’écraser l’esclavage dans le sud. Voulez-vous avoir foi en nous ? voulez-vous nous obéir ? Nous conquerrons la nationalité, et nous vous donnerons la république, qui est le gouvernement des forts. » Il faut savoir le prestige qu’exerce