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l’inquiétude que lui inspiraient les événemens accomplis sur les bords du Syr-Daria. « Quand la Russie, disait-elle, se sera emparée de l’Oxus, ses avant-postes toucheront à la frontière afghane depuis Mymenah jusqu’à Badakchan ; , il sera expédient alors de considérer si, laissant Caboul et Ghazni, où nous avons subi nos premiers désastres, s’épuiser dans une anarchie stérile, nous ne devrons pas nous assurer une forte position par la prise de Candahar et même d’Hérat. Le cabinet de Saint-Pétersbourg vise, paraît-il, à placer un gouverneur russe sur le trône de Boukhara. La génération actuelle ne le verra peut-être pas parvenir à ce but ; mais dès qu’il l’aura atteint, il deviendra nécessaire, pour protéger le Pundjab, d’élever une ligne de forteresses qui mettent ce côté accessible de nos frontières à l’abri d’une invasion. Hérat et Candahar réunissent les conditions requises, ce sont les véritables limites politiques de l’Inde. »

Depuis l’époque où ces lignes ont été écrites, les événemens se sont précipités ; en vain la Russie, satisfaite de ses progrès, déclare vouloir vivre en paix avec les états ozbegs, un tel accord est impossible. Tant qu’elle ne possédera pas le Turkestan tout entier, les khanats demeurés libres entretiendront dans les provinces envahies un esprit de révolte ; ils chercheront à les affranchir, et ces tentatives, qualifiées d’agressions par le gouvernement russe, le conduiront à de nouvelles conquêtes. Cependant, si l’émir de Boukhara, trop affaibli par ses derniers revers, abandonne à ses ennemis la tranquille possession du Kokand et laisse leurs steamers remonter en paix l’Amou-Daria, les hostilités ouvertes seront quelque temps suspendues. Les tsars connaissent l’art d’attendre ; ils ne s’avancent d’ordinaire qu’après avoir patiemment préparé le terrain, et ils suivront vraisemblablement dans l’Asie centrale la conduite dont ils ont déjà recueilli plus d’une fois les heureux effets. Des familles de colons et d’agriculteurs, noyau de futurs établissemens, se fixeront sur les rives de l’Amou-Daria ; les marchés situés sur le cours de ce fleuve tomberont aux mains des Russes ; puis, quand le commerce et la diplomatie auront accompli leur œuvre, les Reviens et les Boukhares, qui la veille encore étaient indépendant, se réveilleront sujets moscovites. Il est vraisemblable toutefois que l’émir Mozaffar ne laissera point ce réseau l’envelopper peu à peu sans tenter de le rompre ; son courage, sa haine des envahisseurs, la confiance que lui inspirent la force de son khanat et sa ligue avec l’Afghanistan, le pousseront à de nouveaux efforts pour chasser les étrangers.

Quelle sera, dans cette hypothèse, l’attitude de l’Angleterre ? Cherchera-t-elle à secourir les populations ozbegs, ou bien voudra-