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tout d’abord, et depuis quelques années le nombre s’en est beaucoup accru, car les deux grandes routes commerciales de Kokand à Kouldja et de Kachgar à Semipolatinsk se croisent à Vernoé, où elles amènent une foule considérable de marchands. Aux environs du fort s’étendent le long du lac Issi-Koul les campemens des Kara-Kirghiz ; mais ni cette tribu, dont les territoires de chasse sont limitrophes des provinces kokandiennes, ni les nomades de la Grande-Horde ne firent d’opposition sérieuse aux Européens dans cette contrée lointaine et presque inconnue. Ils parurent au contraire comprendre et apprécier les bienfaits de la civilisation que leur apportaient les étrangers. « Je gouverne mon peuple, disait un de leurs sultans au voyageur russe Veniukof, d’après la volonté du tsar blanc. — Que le ciel le protège ! — Une pièce de bois, comme vous le savez, est d’abord un bloc informe, mais, sous la main d’un ouvrier habile, elle devient un meuble précieux. Mon peuple et moi nous sommes le bloc, l’officier du tsar est l’ouvrier sans lequel nous resterions à jamais l’inutile morceau de bois. » Le cabinet de Saint-Pétersbourg, qui ne néglige jamais rien pour être exactement informé de l’état réel des peuplades subjuguées et pour connaître les meilleurs moyens de tirer tout le parti possible de ses envahissemens, envoya dans la région située au-delà du fleuve Ili des fonctionnaires intelligens et dévoués qui dressèrent la carte de ce district, en étudièrent les ressources, se rendirent un compte exact des tendances et de l’esprit des habitans. D’année en année, les frontières de la colonie reculèrent et finirent par atteindre à l’est les montagnes du Ciel, d’où les Russes jettent aujourd’hui des regards de convoitise sur la Tartarie chinoise. Le dernier traité conclu à Pékin leur confère le droit d’établir une factorerie dans Kachgar et d’y avoir un consul. La clause, il est vrai, n’a pas encore été mise à exécution ; mais le gouvernement moscovite ne cache pas que cette ville est le but, la limite de son ambition commerciale dans le Turkestan, et comme de semblables déclarations sont presque toujours de sa part un prélude d’hostilités prochaines et de conquêtes nouvelles, il est facile de conclure qu’il ne trouvera les intérêts de ses négocians suffisamment protégés que le jour où il possédera le pays tout entier.

Différentes circonstances avaient, pendant cet intervalle, ralenti la lutte engagée sur les bords de l’Iaxarte. L’émir de Boukhara, Mozaffar, voyant les difficultés que suscitait au Kokand l’invasion européenne, encouragé d’ailleurs par les Russes dans ses desseins belliqueux, avait envahi le khanat rival, dont il espérait annexer les riches provinces à son territoire. L’état du pays favorisait ses projets, plusieurs compétiteurs se disputaient la couronne et