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projet depuis longtemps conçu d’établir une ligne de forteresses le long du Syr-Daria. Ce n’était point là, disait-il, agrandir le territoire de l’empire, car les Kirghiz, sujets du tsar, campaient déjà sur la rive droite du fleuve. Il n’est pas douteux néanmoins que la marche des troupes européennes ne dût être considérée par les Ozbegs du Kokand comme une invasion ; les Khiviens eux-mêmes, quoique moins directement menacés, sentaient le danger de ce voisinage. « C’en est fait de nous, s’écriaient-ils, si les Russes boivent les eaux du Syr-Daria ! »

Le principal fort turcoman, Ak-Mesdjed, était situé à cent lieues environ d’Aralsk ; une division de cinq cents hommes, commandés par un officier aussi habile que brave, fut envoyée pour reconnaître la place et intimer aux Kokandiens l’ordre d’abandonner une position qu’ils avaient injustement enlevée aux Kirghiz. Averti de l’approche des Russes, l’ennemi avait détruit les digues du fleuve pour inonder la campagne aux environs de la forteresse. Cet obstacle ne déconcerta pas les troupes : plongées dans l’eau jusqu’à la ceinture, elles arrivèrent devant Ak-Mesdjed, dont elles renversèrent les ouvrages avancés sans rencontrer de résistance sérieuse. Il leur fallut pourtant se retirer après ce premier avantage ; les Kokandiens, qui attendaient du renfort, refusaient de se rendre, et l’on n’avait ni pièces de gros calibre ni échelles pour tenter l’assaut. Après avoir rasé trois forts de moindre importance construits sur le cours inférieur du fleuve, les Russes regagnèrent Aralsk, plus confians que jamais dans le succès définitif de leur entreprise.

L’année suivante, le général Perowski envoya d’Orenbourg par détachemens successifs un corps expéditionnaire considérable avec douze pièces de canon, deux mille chevaux et un nombre égal de chameaux et de bœufs chargés des approvisionnemens nécessaires pour la traversée du Karakoum. Afin que rien ne vînt troubler la marche des troupes, ordre avait été donné aux sultans nomades de balayer la steppe et d’en éloigner toutes les bandes de maraudeurs. Les Kirghiz eux-mêmes devaient éviter de camper. le long de la route pour ne pas diminuer les ressources déjà si précaires qu’offrent les rares herbages de ces plaines de sable et de sel. Malgré la chaleur et la fatigue, auxquelles se joignirent les tournions de la soif, les Russes arrivèrent sans trop de pertes à Aralsk, d’où ils furent dirigés vers la fin de juin sur Ak-Mesdjed. Les Kokandiens de leur côté avaient mis le temps à profit pour se fortifier ; le rempart extérieur, qui aurait facilité l’approche des assaillans, avait été démoli ; un fossé large et profond entourait la citadelle ; les murs, construits en terre, offraient aux boulets une couche molle, épaisse de 7 mètres, dans laquelle ils s’enfonçaient sans causer aucun mal, et leur hauteur ne permettait pas de