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nous-mêmes, de secouer notre inertie, de nous arracher à la fange des lâches habitudes, de cesser d’être à la fois des vantards et des incapables, de devenir une nation, vive Dieu ! qui ait des mérites et des vertus, au lieu d’être une race abaissée, avilie, objet de la risée des forts ! Ayez au moins le courage d’entendre ces paroles, Italiens, j’ai bien le courage de les dire ! » D’Azeglio combattait avec plus de courage que de confiance. Si dans cet intervalle de l’été de 1848 à la bataille de Novare où tout allait en s’aggravant, s’il y eut un instant où il crut que tout pouvait être réparé, ce fut quand Gioberti, devenu premier ministre à Turin, conçut la pensée d’aller à Florence, même à Rome si c’était possible, de faire de l’armée piémontaise la gardienne d’un ordre restauré et maintenu dans les limites d’une liberté constitutionnelle. Cette idée avait séduit d’Azeglio, et un moment il suivit même un petit corps avec lequel le général La Marmora manœuvrait du côté de Sarzana. L’illusion dura le temps que Gioberti mit à tomber du pouvoir, le temps que les ministres démocratiques ses successeurs mirent à pousser l’armée piémontaise à Novare, — et alors, retenu encore par sa blessure à la Spezzia, il écrivait ces paroles où il semblait ensevelir les émotions généreuses et les espérances d’une année : « Vous le savez, à cette heure tout est fini !… Avoir travaillé toute sa vie dans une seule pensée sans espérer jamais qu’une occasion se présentât, la voir arriver surpassant toute prévoyance raisonnable, et puis sentir tout cet édifice s’écrouler en un jour ! Après de pareils coups, on ne garde plus que les apparences de la vie ; l’âme et le cœur sont morts. Je ne verrai plus ma pauvre chère patrie délivrée du joug. Que la volonté de Dieu soit faite !… Je suis à la Spezzia tâchant de me rétablir : ma blessure est toujours ouverte. Je ne vois plus rien à faire pour le moment. Il faut rouler jusqu’au fond de l’abîme pour voir où l’on s’arrêtera et pour se reconnaître. Alors nous recommencerons ; mais ce n’est pas moi qui cueillerai le fruit. Souvenons-nous que l’amour de la patrie est sacrifice et non jouissance ! »

Massimo d’Azeglio, sous le coup étourdissant de Novare, crut évidemment tout perdu : il ne tenait plus qu’à une chose, c’est qu’on sût que l’armée s’était bien battue ; pour le reste, il fallait épuiser jusqu’au bout l’amertume de la défaite avant de retrouver « un nouveau point de départ. » Il touchait cependant, sans le savoir, au second de ces deux beaux jours de sa vie dont je parlais. Il faut se rappeler où en étaient l’Italie et le Piémont à ce lendemain de Novare. L’Autriche restait partout victorieuse au-delà des Alpes, et l’air de réaction qui soufflait en Europe n’était pas propre à la retenir. Le Piémont succombait d’épuisement avec un trésor à sec et