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qui ont su tirer parti même des fautes et renouer patiemment une œuvre dix fois interrompue, ceux-là ne sont plus déjà ou disparaissent d’heure en heure ; ils ont fait leur journée, et jusque dans la mort où ils se rejoignent ils gardent ce je ne sais quoi des générations qui ont porté en elles une grande destinée ; ils prennent aussitôt je ne sais quel air de figures historiques. C’est la dynastie presque éteinte des vrais et légitimes fondateurs de l’indépendance italienne.

Un jour, en 1857, lorsque cette indépendance qui s’achève aujourd’hui n’avait d’autre refuge libre que le petit Piémont, un homme, seul avec lui-même, après avoir réglé ses affaires, écrivait d’une main ferme, — d’une main qui avait tenu l’épée, — cette belle page, sorte de testament religieux et politique, qui n’est pas seulement l’expression d’une volonté dernière, qui est comme le programme rétrospectif de toute une vie. « Premièrement je prie mon seigneur Dieu de recevoir mon âme immortelle, de lui accorder le pardon et de la conduire au lieu pour lequel elle a été créée et tenue sur cette terre. Il sait que tous les jours de ma vie je l’ai prié dans la sincérité de mon cœur, que j’ai eu toujours pour assuré qu’aimer la justice, la vérité, le sacrifice de soi-même, était la meilleure manière de l’adorer et de le servir. — Je le prie pour cette malheureuse patrie à laquelle j’ai porté tant d’amour, afin qu’il lui accorde d’être libre et maîtresse d’elle-même. — Je rappelle aux Italiens que tel est leur droit, et j’ai la certitude que, si je n’ai pas été jugé digne de voir le jour saint et béni de leur pleine indépendance, ce jour se lèvera infailliblement. Que les survivans d’alors n’oublient pas ceux qui ont contribué à le préparer ; j’espère qu’ils voudront bien me faire une place parmi ceux-ci, car si je n’ai pas su ou si je n’ai pas pu travailler efficacement à l’œuvre, j’y ai travaillé, Dieu le sait, autant que tout autre avec bonne volonté. — Je rappelle encore aux Italiens que l’indépendance d’un peuple est la conséquence de l’indépendance des caractères. Qui est esclave des passions municipales ou des passions de secte ne peut se plaindre d’être esclave de l’étranger. Le jour de la concorde, du sacrifice de toute rivalité, de toute haine, de tout intérêt privé, sera la veille du jour de l’indépendance… — Je n’ai jamais haï personne, et jamais, autant que je me souvienne, je n’ai voulu offenser personne ; si involontairement cela m’est arrivé, j’espère qu’on me le pardonnera, et si au contraire quelqu’un croit avoir besoin de mon pardon, je le lui donne plein et entier. Ainsi que Dieu nous ait tous en miséricorde ! que ma mémoire reste dans le cœur des honnêtes gens et des vrais Italiens. Ce sera le plus grand honneur qu’on puisse me rendre et que je sache imaginer. »