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surhumaines vers l’idéal, ni l’imagination qui prête à la chose sans vie les attributs de l’humanité ; ils n’ont point, en un mot, le feu sacré de la poésie. » Les voilà jugés, ils n’iront jamais au-delà de la a facilité improvisatrice. » C’est en vain qu’ils réclament avec Dante et Lucrèce, qui paraissent pourtant des poètes assez profonds et assez sérieux. M. Mommsen les condamne à chanter toujours des canzonette et à danser éternellement la tarentelle. L’art vrai, intime, leur est interdit ; il ne leur a pas été donné de voyager « dans les champs de l’idéal. » La France n’est pas mieux traitée ; M. Mommsen, qui est bon patriote, ne lui pardonne pas la domination qu’à deux reprises, au moyen âge et au XVIIIe siècle, elle a exercée sur son pays. Il ne peut pas comprendre « que des nations dotées du génie de l’art, comme les Anglais et les Allemands, n’aient pas dédaigné de recourir aux tristes pis aller de la culture française. » Et pour qui donc réserve-t-il cette gloire de la poésie qu’il nous refuse ? Il a le mérite au moins de nous le dire avec franchise : « Il n’a été donné qu’aux Grecs et aux Germains de s’abreuver aux sources jaillissantes des vers et à la coupe d’or des muses. » Que le reste du monde en prenne son parti, il ne peut espérer que de « faibles gouttes » de la liqueur sacrée. Le moyen âge n’est pas plus favorisé que le XVIIe siècle et la Chanson de Roland que le Cid. L’arrêt est sans exception, et les malheureuses nations latines, à tous les momens de leur existence, dans leur virile jeunesse aussi bien que dans leur brillante maturité, sont condamnées à être stériles. Je ne crois pas que ces opinions réussissent en France comme en Allemagne. Sans parler de l’intérêt personnel que nous avons à ne pas les accueillir avec le même engouement, la disposition des esprits est différente chez nous. Nos voisins sont grands faiseurs de systèmes, et ils ont ceci de particulier, qu’après les avoir créés ils y croient fermement, qu’ils les poussent jusqu’à leurs dernières conséquences, et que l’extravagance des conclusions ne leur démontre pas la fausseté du principe. Nous sommes des logiciens moins impitoyables, nous pensons que les théories sont faites pour expliquer les chefs-d’œuvre ; si le chef-d’œuvre ne peut pas rentrer dans la théorie, nous jugeons qu’elle est mauvaise, et je crois que nous n’avons pas tort. La plus sotte duperie dans le jugement qu’on porte sur un poète, c’est de ne pas vouloir écouter l’émotion personnelle qui ne trompe guère, de prononcer d’après des systèmes qui changent et de se faire la victime volontaire de règles et de définitions dont on est l’auteur. C’est tout à fait ainsi que procédaient les critiques de l’ancien temps, les Batteux, les Lebossu, dont on s’est tant moqué, et l’on ne s’aperçoit pas qu’on imite ceux qu’on a renversés. On croit, comme eux, que le beau ne peut