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chambre des communes par des démonstrations de masses rassemblées ? Si M. Bright et ses amis donnent aux manifestations de la rue une trop grande place dans leur tactique, les déchiremens du parti libéral ne deviendront-ils point plus grands, et les intérêts de la chambre des communes ne se confondront-ils point avec ceux du ministère ? Nous ne sommes point de ceux qui redoutent pour l’Angleterre le péril imminent d’un bouleversement révolutionnaire ; nous ne croyons point à une collision des foules enrôlées sous le drapeau réformiste avec les forces organisées de la société et du pouvoir. Nous présumerions plutôt que les provocations violentes de M. Bright profitent moins à sa cause qu’aux intérêts conservateurs. Cependant on ne peut se défendre d’une certaine émotion à la veille de la lutte qui va recommencer en Angleterre. On voudrait voir détourner par des concessions raisonnables et opportunes un choc qui, même contenu dans la sphère des idées, laisserait les esprits trop ébranlés et trop irrités. On souhaiterait que M. Disraeli, pour qui la réforme est un sujet continuel d’études positives depuis vingt années, pût apaiser ce conflit par une transaction large, raisonnable et adroite. On se tromperait d’ailleurs, si l’on supposait que le tumulte de l’agitation réformiste trouble et enraie en Angleterre les travaux des penseurs politiques. Comme de froids savans qui étudieraient et vérifieraient des lois physiques au milieu d’une convulsion de la nature, de solides esprits s’exercent à chercher des formules rationnelles qui règlent une équitable distribution du pouvoir représentatif en mettant les grandes supériorités naturelles à l’abri de la tyrannie sommaire d’un matérialisme démocratique trop brutal. Il y aura à tirer d’utiles enseignemens en tous pays de ces curieux travaux des professeurs Lorimer et Blackie, de l’université d’Edimbourg, de M. Hare et d’autres ingénieux penseurs qui, dénués de préjugés, soumettent au contrôle de la raison les conditions de l’organisation des forces démocratiques.

Un phénomène bien grave aussi, bien étrange, et qu’il y aura profit à étudier quand le dénoûment sera accompli, c’est l’antagonisme, des deux parts soutenu avec une obstination si surprenante, du président et du congrès des États-Unis. M. Johnson a rencontré des adversaires dont la violence et l’opiniâtreté égalent la sienne. Sans doute, pour que les choses arrivassent à de telles extrémités, il a fallu que par un hasard exceptionnel le pouvoir présidentiel vînt aux mains d’un excentrique tel que Johnson. Tout autre aurait réussi à ménager une place suffisante à ses idées dans une transaction conciliante. Johnson n’a pas voulu d’un demi-succès ; mais en face de lui, à la tête du parti républicain, étaient des hommes capables de lui tenir tête. Le vieil et infatigable Thaddeus Stevens, le sage M. Sumner, n’ont point reculé devant l’extrémité de la mise en accusation du président pour arriver à sa déposition. Johnson, en attendant, continue imperturbablement à opposer son vélo aux lois les plus importantes votées par le congrès. Il a expliqué lui-même à un correspondant du Times le