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philosophe, de l’écrivain, à décrire l’homme dans les aspects variés de sa puissante organisation ; mais c’est un travail trop difficile pour notre plume et qu’il n’est pas encore permis de tenter. Je me bornerai à un seul mot, à l’expression de mes sentimens personnels dans toute leur sincérité.

On a dit que les amis de M. Cousin commençaient par l’enthousiasme et finissaient par la déception. Il n’est pas un seul ami de M. Cousin qui ne proteste contre une telle imputation. Pour ce qui me concerne, je dois dire que c’est précisément le contraire qui m’est arrivé, et c’est pour cette raison que je prends la liberté de m’introduire ici personnellement, ce qui n’est pas dans mes goûts ; mais quand il s’agit d’apprécier le caractère d’un homme célèbre, de vagues banalités ne suffisent pas, des témoignages précis et personnels ont seuls de la valeur. Or il s’en faut de beaucoup que j’aie commencé avec M. Cousin par l’enthousiasme, tout au contraire. A l’époque où j’eus l’honneur de le connaître pour la première fois, en 1844, l’enthousiasme public était depuis longtemps refroidi et avait été remplacé par des sentimens tout contraires. Je partageais ces sentimens aussi vivement qu’aucun jeune homme de mon âge. Les adversaires les plus déclarés de M. Cousin n’ont pas aujourd’hui à son égard de préventions plus invétérées que je n’en avais alors le jour où j’entrai pour la première fois dans cet appartement de la Sorbonne, aujourd’hui dépeuplé, et qu’une voix intarissable et éclatante a si longtemps animé. Notre commerce fut d’abord difficile, et de ma part, je l’avoue aujourd’hui, peu sympathique. De difficile, il devint froid, ce qui fut un premier progrès ; mais peu à peu le charme vint : la bienveillance, l’intérêt, l’affection d’une part, de l’autre une confiance chaque jour plus grande, nous rapprochèrent de plus en plus. Mes anciennes préventions ou s’affaiblirent, ou tombèrent l’une après l’autre, et à travers les bizarreries et, si j’ose dire, les travers de ce caractère si compliqué, je ne vis plus que les grands côtés. J’étais trop prévenu contre l’illusion pour que ce charme entraînant et cet ascendant victorieux ne fussent que de pures illusions. Il y avait en lui un instinct de grandeur, une flamme, un véritable enthousiasme, qui ne s’imitent pas, quoi qu’en disent les difficiles, qui, à force de ne vouloir point être dupes, finissent par être dupes de leur propre scepticisme. Cet enthousiasme, je le reconnais, n’était pas toujours exempt de quelque solennité théâtrale, et l’imagination y avait une forte part ; mais le foyer était plus profond que l’imagination elle-même : il était dans une âme toujours ardente à la poursuite du grand et du beau. D’ailleurs n’a pas qui veut l’imagination grande, et le souffle d’en haut est toujours divin, quelle que soit celle de nos facultés qu’il