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philosophique dans l’université. Or c’est là, à mon avis, l’une des plus belles parties de sa gloire et l’une des plus solides. Il a établi et rendu possible en France une chose entièrement ou presque entièrement nouvelle : un enseignement laïque de la philosophie. C’est lui qui, par son impulsion personnelle, par l’éclat donné au concours des agrégations, par son goût et sa passion pour le talent, par cette excitation au travail que nous avons déjà rappelée, a peuplé la France de jeunes professeurs qui répandaient à leur tour chez leurs élèves la chaleur de leur âme et de leurs convictions. De ces professeurs distingués par le choix de M. Cousin, combien se sont fait un nom dans les lettres, et encore aujourd’hui occupent et méritent dans des camps divers l’attention publique ! Cette école, que l’on a représentée comme obéissant à un mot d’ordre et courbée sous un joug tyrannique, est celle qui a donné au jour de l’épreuve le plus d’exemples de ferme courage, et ceux qui n’ont pas cru leur conscience engagée aux mêmes sacrifices, qui ont préféré l’enseignement qu’ils aimaient aux luttes politiques, ceux-là ne sont pas plus disposés que d’autres à la servilité. Pour ce qui est de ce prétendu mot d’ordre, je n’en ai jamais entendu parler. Nous choisissions l’enseignement philosophique parce qu’il flattait en nous l’indépendance de la pensée ; jamais il n’a été demandé à personne un seul mot de soumission à des dogmes étrangers. J’en appelle au témoignage de ceux que la politique et non la philosophie a éloignés de nos rangs[1]. Quant aux doctrines spiritualistes qu’on nous reproche et que l’on appelle aujourd’hui, dans un langage vulgaire et banal, des doctrines officielles, nous les enseignions parce que nous les croyions vraies, et ceux de nos camarades de l’École normale qui n’avaient pas les mêmes convictions choisissaient un autre enseignement. Nous étions alors entièrement persuadés que le matérialisme avait fait son temps et qu’on ne le reverrait plus parmi nous, que le panthéisme était un rêve de l’Orient, ressuscité par l’esprit nuageux et subtil de l’Allemagne, inconciliable, suivant nous, avec le libéralisme ; car sans personnalité point de liberté, et comment conserver la personnalité dans une substance où tout s’engloutit ? Telles étaient les pensées de la plupart d’entre nous. Qu’elles fussent naïves,

  1. On nous citera M. Vacherot ; mais sa destitution a été l’œuvre de la réaction de 1850. Dans tout le cours de sa longue carrière universitaire lui a-t-on imposé un mot, un acte contraire à ses convictions ? Non sans doute, car il n’y eût pas consenti. — En 1848, M. Cousin étant encore président du bureau d’agrégation, qui fut reçu le premier au concours ? Ce fut M. Renan. — En 1851, M. Taine, qui méritait le premier rang, fut écarté pour ses opinions. Qui présidait le bureau ? M. Portalis. M. Cousin avait été écarté par la réaction.