toute prête à les recevoir, et la jeunesse, selon l’expression de Kant, pour prouver qu’elle a passé l’âge de l’éducation de la nourrice, boit avec ivresse et sans réflexion le poison qu’elle trouve agréable et qu’elle croit nouveau.
M. Cousin, plus que tout autre, était un soldat ou plutôt un capitaine, car dès le premier jour il a commandé et n’a jamais obéi. La philosophie était pour lui une guerre, la guerre des bons principes contre les mauvais principes, du vrai contre le faux, du grand goût contre le mauvais goût, de la liberté tempérée contre les excès du despotisme et de la démagogie. C’était la défense des vérités immortelles qui sont le patrimoine de l’humanité. Il n’était pas homme à passer, comme Kant, quarante ans à l’élaboration d’un système et à publier son premier ouvrage à soixante ans. Ces lents échafaudages germaniques répugnaient à sa nature vive, alerte et passionnée. Il enlevait d’assaut un problème, et n’aimait pas les mines et les contre-mines des dialecticiens. Le détail l’ennuyait, si ce n’est en érudition. En philosophie, il ne voulait que le gros des choses et n’aimait que les grands résultats. C’est pourquoi, malgré l’originalité et la fantaisie de son imagination, il se reposait volontiers en philosophie dans le sens commun. Ses dernières admirations, ses derniers enthousiasmes ont été pour Socrate et pour le docteur Reid, c’est-à-dire pour une philosophie du bon sens, philosophie sage et familière, croyante et réservée, respectueuse des dogmes sans s’y asservir, travaillant au bien-être des hommes par le développement des idées saines et des bons sentimens.
Les considérations qui précèdent expliquent encore un des points les plus graves du rôle philosophique de M. Cousin, je veux dire son attitude à l’égard de la religion. Comme c’est là un point qui a été et sera encore l’objet des plus brûlantes controverses, il conviendrait peut-être de l’éviter dans un travail où nous ne voudrions rien avancer qui pût solliciter aucune récrimination ; mais le silence serait lui-même quelque chose d’injurieux. Je dirai donc que quelques-uns des plus fidèles amis de M. Cousin n’ont point toujours eux-mêmes complètement approuvé la situation qu’il avait prise ; il leur semblait que cette situation manquait de netteté et de précision, et fournissait trop de prétextes à d’incessantes attaques. Néanmoins, tout considéré, et si l’on écarte quelques intempérances de paroles et de conduite, je ne crois pas que ni dans sa conversation, ni dans ses écrits de tous les temps, on ait pu jamais surprendre une autre doctrine que celle-ci : c’est que la philosophie spiritualiste doit s’allier au christianisme dans sa lutte contre les opinions athées. Je reconnais qu’à un point de vue absolument